Je m'étais approché, en voyant l'assemblée, en entendant les hurlements, puis j'avais suivi leurs regards, vers le ciel ; vers celui qui étendait ses ailes avant de s'envoler vers sa fin, vers la disparition de son existence. Tout comme ceux qui m'entouraient, je l'avais observé avec bien plus d'attention que je ne l'aurais pensé, incapable de détourner le regard. Son corps s'était écrasé lamentablement sur le bitume froid. Mais personne ne s'approchait, personne ne voulait s'assurer qu'il ait encore une chance d'y survivre, à ce saut fatal. Non, personne - car tous étaient préoccupés par autre chose.

Je la sentais plus que je ne l'entendais, cette voix insidieuse, terriblement tentatrice, à pousser au vice de la violence. Elle parvenait à faire battre mon cœur d'une telle force que je ne m'étais pas senti plus vivant qu'à cet instant, alors qu'autour de moi on s'affolait, pour mille et une raison. Je voyais ceux qui résistaient à cet appel, ceux qui luttaient encore intérieurement pour ne pas lui céder, et ceux qui n'avaient pas su ignorer la supplique, lui accordant son moindre caprice. On me bousculait, mais je peinais à réagir, l'air impassible, distant de cette scène ; distant de cette vie. Toutefois, cela ne me prit que peu de temps pour laisser libre court à mon envie primaire et j'éclatais soudain d'un rire que l'on pouvait sans mal décrire comme dément.

Je lui cédais, plus par envie de lui céder, que par faiblesse d'esprit.
Souhaites-tu que je détruise pour toi, que je fasse connaître à tous le tourment de ton cœur ?
Très bien, tu n'as qu'un mot à dire ; tes ordres font désordre. Tes ordres sèment discorde.

A se demander si ce n’était pas fait exprès, n’est-ce pas, Amy ? Dés que tu étais pressée, en retard, ou encore dés que tu décidais de ne strictement rien faire même … il se passait quelque chose. Est-ce qu’il y avait quelqu’un, quelque part, qui s’amusait à te pourrir l’existence ? Non parce que, tu commençais à le penser très sérieusement.

Il faisait froid. Si froid. S’il avait mis un moment à débarquer, celui-là, il était maintenant totalement et confortablement installé. Exit les hauts légers, exit le simple sweat à capuche pour sortir le matin et bonjour le manteau bien trop épais, l’écharpe et même le bonnet histoire d’éviter à tout prix les virus qui venaient généralement à toi comme une abeille est attirée par le pollen. Tu étais sortie à la hâte de ta résidence, parce que si tu n’avais pas cours le vendredi après-midi, en revanche, tu bossais. La fin de semaine était lourde pour toi, même si tu ne t’en plaignais jamais. Quelques heures avec Lacerta l’après-midi, et quelques heures le soir à la bibliothèque avant de fermer cette dernière pour le week-end. Tu étais pressée, l’heure t’avais échappée et tu t’étais avancée en trottinant … avant de stopper net. Les cris de détresse avaient attiré ton attention, et tu avais levé les yeux vers le toit. Tu l’avais sans doute déjà croisé, ce garçon, mais là, tu n’eus que le temps de voir sa silhouette avant qu’il ne se laisse tout simplement tomber dans le vide. Il y avait eu un instant de flottement, très court, durant lequel son corps était en chute libre et puis … ce bruit horrible. Le bruit de quelque chose qui s’écrase au sol, le bruit des os qui craquent, se brisent. L’instant suivant, il était là, à quelques mètres de toi, par terre, une marre de sang était déjà en train de se former autour de lui et tu l’avais fixé, un moment avant de serrer les poings.

Tu ne peux pas détacher les yeux de son visage. C’est une vision horrible, n’est-ce pas ? Et pourtant, tu l’observes, plantée là, droite comme un « i » … tu ne le connaissais pas. Et pourtant, pourtant oui, tu as subitement envie de hurler ta rage. Subitement, la revoilà celle-là, sans que tu ne puisses rien y faire, comme si elle agissait de sa propre volonté, cette colère, elle se met à s’insinuer en toi, dans tes veines, à bouillonner. Elle te parle. Est-ce que c’est bien elle ? Tu l’entends. Elle te supplie de te laisser aller, de céder, et tu trembles. Tu trembles de rage, de cette envie de détruire le monde, de toute saccager, ravager, de ne laisser qu’un tas de cendre … des ruines.

Une journée comme les autres a courir partout et crier pour rien comme on me le reproche souvent devait pourtant se terminer le plus banalement possible mais, non.

ça c'était passé presque sous mes yeux. J’avais pas compris au début parce que voir autant de gens attroupé au même endroit en général ça veut dire que soit c’est la fête soit  y’as une bagarre mais rarement qu’un suicide avait lieux sous les yeux de tous.

Et pourtant.

J’ai crier en même temps que tout le monde. Je crois. Je sais pas. Je sais rien. Je comprend plus rien.
Puis d’un coup j’ai entendu cette sorte de voix qui me soufflait dans les oreilles de tout casser. Comme si chaque partie de mon corps se devait de détruire quelque chose, que je me devais de laisser la rage m’envahir totalement comme on laisse l’alcool nous faire perdre la raison.

La première chose qui y passa était mon téléphone portable que je tenais bien en mains mais qui se brisa sous la force d’une poigne qui ne voulait plus rien respecter.

Pourquoi elle te lâche pas, cette voix, hein ? Elle est là, dans ta tête, elle te torture autant qu’elle le peut. Elle te pousse à la violence. A tout détruire sur ton passage. Elle t’oblige à regarder le corps sans vie de ce pauvre garçon étalé sur le sol dur et froid. Pire encore, voilà que te viens l’idée que peut-être, sa mort ne serait pas irréversible. C’est stupide, n’est-ce pas ? La mort, ça fait partie des choses que l’on efface pas. Elle s’installe, c’est tout, on ne peut rien y faire … et pourtant, tu avais Luca en tête. Tu sais, Luca. Le gars avec lequel tu bosses depuis des semaines à la bibliothèque, celui qui était mort et qui est finalement revenu … revenu très différent de l’image que tu avais gardée de lui. Du coup … voilà que tu te poses des questions. Des questions qui n’ont pas de sens. Des questions qui te mettent en colère. T’es pas une héroïne. T’as pas la prétention de dire, ou même de penser que tu peux sauver qui que ce soit et pourtant, là, tu as l’impression de pouvoir faire quelque chose pour rendre sa vie à cet étudiant.

Tu sers les poings. Tu les sers si fort. Au fond, tu essaies de te convaincre de ne rien faire. De ne pas faire l’idiote. Mais … ça ne dure pas bien longtemps et bien vite, te voilà en train de ramasser une pierre, un galet qui provient de l’un des parterres de fleurs. Tu le sers dans ta main et puis tu le lances, de toutes tes forces. Il vole. Il passe par-dessus quelques têtes et vient littéralement fracasser une vitre du bâtiment des arts. Du coup, tu en prends un autre, et tu recommences, et puis tu te mets à piétiner les fleurs, à les arracher avant d’envoyer un grand coup de pied dans un banc, avec une violence telle qu’il se renverse au beau milieu de l’allée. Maintenant … t’étais lancée, bon courage pour t’arrêter.

HRP : premier choix, tout casser.

Nous cédions, les uns après les autres, à nos envies primaires, à une rage qui était à la fois notre et étrangère ; on la manipulait avec aise, car nous étions tous emplis d'une colère sourde. Chacun ses raisons, chacun ses forces, chacun ses faiblesses ; mais tout revenait à une seule chose, à cette injustice folle qui nous volait notre âme et que nous refusions. Nous ne lui laisserions pas prendre davantage - cette vie qu'elle avait volé, nous ne la laisserons pas nous échapper, c'était à cela que nous pensions lorsque notre rage s'empara entièrement de nous.

Pauvres marionnettes que nous étions devenus, nous nous battions à chacun notre façon. Je m'y joignais, à cette féroce bataille, même si nous ne savions pas contre quoi nous nous battions ainsi ; contre qui nous nous battions. Des objets volaient, des hurlements fusaient - la guerre semblait avoir été déclaré et éclatait de tout son soul ici-même. Cet endroit était subitement devenu un champ de bataille.

On me balança une poubelle, arrachée à sa racine, mais elle ne m'atteignit jamais ; elle glissa à travers ma fantomatique silhouette et s'échoua sur le sol, derrière moi. Ah, voilà qui pouvait se révéler problématique, si je souhaitais me rendre utile sur ce champ de bataille, je n'irais pas bien loin à ne faire qu'étrangement esquiver tout ce qui venait à moi. J'inspirai profondément, craquant ma nuque puis mes phalanges et je m'avançai d'un pas déterminé. Ce petit jeu ne se jouerait pas sans moi, foi d'Elkandel.

Il y avait un petit groupe, de trois personnes, qui s'essayaient à ramasser un banc - je pressentais qu'ils allaient le lancer contre une vitre, pour plus de dégâts qu'une simple pierre (même si celle-ci faisait bien son affaire). Je les rejoignis et les aidai à soulever le banc puis leur apportai la force nécessaire pour le balancer contre les vitres du bâtiment. Elles volèrent en éclat, nous déchirant la peau, mais incapable de nous voler nos sourires de triomphe. Ce n'était que le début. Avec leur aide, je grimpai dans la salle dont nous avions ouvert l'accès, et j'étais vite rejoint de quelques autres personnes. Et alors nous la vidions de tout son matériel, de toute sa fourniture, la brisant si nous ne la jetions par à l'extérieur, offrant quelques armes de fortune à ceux qui le souhaitaient.