Train de vie épuisant. Se réveiller aux aurores, travailler toute la journée, aller se coucher la tête vide, ou bien trop pleine. Et puis. Les coups, les remarques qui lui glacent le sang. Minuit, qui se considère prédateur, n'est plus qu'une proie sans défense quand il croise son regard. Et ça le débecte, d'être autant dépourvu. Mais il ne peut fuir, ni même se battre. Il a déjà tenté de se défendre, sans vraiment de succès. Cela ne faisait que rajouter du poison dans la machine, faire jaillir le sang un peu plus. Alors il se recroqueville et attend, désormais. Il ne cherche pas d'aide, il ne cherche pas de messie ou d'une main généreusement tendue. Lui préfère s'activer, battre la campagne pour trouver le fond du tunnel, pour trouver une solution. Mais ils sont comme enchaînés, deux âmes qui se haïssent mais qui ne peuvent se détacher l'une de l'autre. Lui et son père se ressemblent comme deux gouttes d'eau : il doit bien y avoir une raison.

Son monde s'écroule quand ce n'est pas le visage familier de Blackburn qu'il voit en entrant dans le cabinet, mais bien un homme qu'il ne reconnait pas : un parfait inconnu semble l'attendre. Un rocher lui tasse l'estomac alors que sa main se crispe contre la poignée de porte. Il semble prêt à s'enfuir, sur le qui-vive. Minuit se pense entouré d'ennemis, entouré d'adversaires. Il ne sait pas encore différencier le vrai du faux, même s'il s'en donne l'air.

Bonjour.

Il n'est pas dupe, il en faudrait plus pour le tromper. Aussi il prend place sur le grand fauteuil de cuir, jaugeant l'homme d'un regard perçant et d'ores et déjà accusateur.

N'essayez pas de me faire croire à votre petite mascarade. C'est Blackburn qui vous envoie me parler, n'est-ce pas ?

Il lui sourit, rassemblant ses mains sur ses genoux croisés. Disons qu'aujourd'hui, il est plutôt de bonne humeur.

Eh bien, discutons. Je suis toute ouïe...

Dieu, ce qu'il détestait Blackburn et ses idées à la con.

Il observe l'inconnu - le mec s'appelle Thanos, quoi. A quel moment il pouvait lui faire confiance ? Eh bien, ça partait mal pour lui, tout ça. Minuit avait l'air de moins en moins convaincu, et ça risquait de s'aggraver. Enfin, si c'était encore possible de paraître moins convaincu que ça. Il soupire, très peu amusé par les blagues que les adultes du campus organisent. Non parce qu'effectivement, ça ressemblait de plus en plus à une blague, et de moins en moins à quelque chose de sérieux.

Il soupire, le poing contre sa joue. Il est à deux doigts de se barrer en coup de vent, mais il doit valider son heure de suivi, sinon il va avoir des problèmes. Mais bon, on dirait bien que c'est le cadet des soucis de Blackburn, alors bon. Il suppose que sa validation, il peut se la mettre... à la poubelle, disons. Cependant, il accepte le gobelet de chocolat chaud, qu'il saisit entre ses mains. Il est peut-être issu d'une bonne famille, ça ne l'empêche pas d'être un charognard opportuniste. Donc, il ne crachera pas sur une boisson gratuite.

Je ne sais pas. Si vous tenez tant à me prouver votre bonne foi, autant me raconter en détail ce qui vous amène ici.

Il ne sait pas trop, après tout ça lui semble être la moindre des choses. Non parce qu'il en sait encore très peu sur ce qui a poussé Thanos à venir ici. Hors de ce qu'a bien pu lui raconter Blackburn. Il était curieux, justement. Comme à son habitude, fouine qu'il était.

Que faites-vous dans la vie ?

Il supposait que c'était un flic. Après tout, il y avait peu de chances que cet homme fasse partie de la DDASS ou quelque chose dans ce rang d'idées, pas vrai ? Enfin, ça lui semblait exagéré. Mais bon, avec Blackburn, tout était possible, il avait l'impression.

Il manque de rire, au moins un peu, au nez du policier. La peur hein. Bien sûr, qu'il avait eu peur. Il avait toujours eu peur, au moins un peu. Quand il manque de mourir, son coeur se serre. Quand l'angoisse lui monte aux tripes, quand il se sent épié. Il meurt de peur, parfois. Mais de moins en moins. De plus en plus, c'est la colère qui l'habite.

Je n'ai pas peur.

Il hausse les épaules presque innocemment et adresse un sourire candide à Thanos. Il pourrait presque passer pour un enfant adorable, de cette façon. Mais qui le connaît sait parfaitement que ce rictus cache une peste impossible.

Je cherche juste à régler cette histoire moi-même.

Il ne pourra pas le sauver ; tout du moins il ne pourra que le regarder se sauver lui-même. Tout du moins, c'est ce que Minuit veut. Il observe Thanos avec des yeux perçants, son sourire s'efface finalement.

Est-ce que vous m'en croyez incapable ?

Comme tous les autres, finalement. Ça ne l'aurait pas étonné.