ce n'était pas prévu. et lorsque quelque chose n'était pas prévu, tu avais une certaine propension à la panique. sortir des sentiers battus était comme se retrouver au milieu d'un danger constant. alors oui, revenir au bâtiment pour chercher des papiers - ce qui, en soi, n'avait rien d'exceptionnel pour personne excepté un étudiant très très timide on suppose - était une véritable épreuve pour toi. même si la fac t'étais familière, tu connaissais avant tout les chemins à emprunter pour te rendre de chez toi aux cours, et inversement. mais lorsqu'il fallait sortir de ces lignes déjà toutes tracées, un grand handicap faisait son retour : tu étais aveugle. complètement aveugle. constamment plongé dans le noir, un noir effrayant, qui t’engloutissais et se taisait simplement quand, au détour d'une rencontre, une aura colorée, lumineuse, caressait étrangement tes sens. tu savais que ce n'était pas normal, que ce n'était pas censé arriver. mais c'était si familier que ça n'avait plus d'importance.

bref, il te fallait poser des papiers pour reporter un examen d'une de tes classes que tu trouvais un peu trop en retard - et tu tenais tout particulièrement à ce que tous tes élèves aient les mêmes chances et les mêmes outils pour étudier - lorsque quelqu'un t'avait bousculé au détour d'un couloir que tu ne connaissais pas. ton crâne avait heurté le mur et tu t'étais retrouvé sonné, complètement désorienté, dans un couloir à présent si silencieux qu'il t'angoissait comme jamais.

c'était arrivé vite, tu supposais. en quelques secondes à peine quelqu'un était venu à ta rescousse. elle avait une voix douce, c'était une jeune femme, tu supposais. tes yeux étaient posés sur elle, à peu près sur elle, sans que tu ne puisses réellement la voir. la plupart de tes étudiants n'étaient pas au courant pour ton ... problème. tu t'étais tant habitué à ta vie d'aveugle que finalement tu savais quasiment tout faire sans, de ton travail aux petites tâches de la vie quotidienne. mais aujourd'hui c'était différent. aujourd'hui tu avais quitté le chemin sécurisant des habitudes. alors ta main se tendit pour frotter doucement ton front. t'allais avoir une bosse, et l'air malin à tous les coups. et puis tu la reposas deux ou trois fois, sur le sommet du crâne de la jeune femme qui t'étais venue en aide.

plus de peur que de mal, je suppose. j'ai été maladroit de ne pas faire attention aux étudiants.

tu souris, tendrement avant de serrer contre toi les papiers mais tu sens bien que la petite pile est bien plus fine qu'elle n'aurait dû l'être.

est-ce que certains de mes papiers se sont échappés dans le couloir ?

tu demandes, songeur.