Une autre journée, un autre parcours du combattant pour parcourir le chemin séparant la section info-com de la présidence de la fac. Ce jour-là, pour ne rien arranger, il y avait orage et, comme c'était visiblement pas assez, j'avais pris un peu de retard et je savais trop bien que ceux-ci n'étaient pas vraiment appréciés par notre président. Peu désireuse de gâcher la première bonne impression qu'il avait eu de moi, je pris donc mon courage à deux mains. J'ouvris ma veste pour protéger mon sac dedans, parano à l'idée que de l'eau entre par le zip pour aller assassiner froidement mon ordinateur portable. Je tirai ma capuche par-dessus ma tête, mais le vent et la course s'unirent assez rapidement pour la faire tomber. J'avais le souffle court, la tête rentrée dans les épaules alors que je courais d'un bâtiment à l'autre en croisant mentalement les doigts pour que la foudre ne frappe pas à ce moment-là.

Des mèches roses collées sur les joues et le front, les vêtements trempés et collés à ma peau, il était toutefois hors de question de baisser les bras. J'avais déjà quatre minutes de retard, c'était inacceptable !  Me mordant la lèvre inférieure, je fis ce que je faisais de mieux : je baissai la tête et je continuai de foncer. Quel soulagement lorsque mon corps se heurta finalement à la porte de la présidence et que je pu y entrer. C'est à la course que je m'engageai dans le couloir. La porte de la salle du conseil des élèves était enfin visible et là... le drame. Un grand crissement se fit entendre, résultat du contact du plancher, de la semelle lisse de mes souliers converse roses et de l'eau qui s'était malicieusement glissée entre les deux. Bien sûr, vu la vitesse à laquelle j'étais lancée, aucune chance que je reste debout.

Je sentis ma cheville se tordre et un éclat de douleur me parcourir le pied et la jambe avant de finalement m'affaler au sol. Le choc fut dur et je fermai les yeux, serrant également les dents. Dans la foulée, je me mordis méchamment la lèvre inférieure qui commença à saigner un peu. Toutes choses étant considérées, j'étais dans un bel état. Étendue au sol, la cheville douloureuse, trempée jusqu'aux os et la lèvre ensanglantée. Quelle fut ma première pensée ? Voyons, je suis en info ou je suis pas en info ?

« Putain mon ordi ! S'il est brisé je... !! »

Alors. Vous savez quand on dit une journée de merde ? Ouais. Alors, comment je pourrais exprimer ça...

« Putain d'enfoiré c'est sur mon putain de pc que t'es en train de marcher pauvre con !! »

Violent ? Bah... Il venait quand même de marcher sur ma vie et de me demander après, comme un bel imbécile, si j'avais rien de cassé. Il avait simplement ruiné mon âme, mon coeur et mon existence en un seul petit ah bien bête. Pour le coup j'étais assez bien remontée, je l'admets. Est-ce que j'allais essayer de me calmer et de rationaliser les choses et tout ce qui s'en suit ? Pas dans l'instant, non. J'étais surtout occupée à me lever d'un bond, tentant d'ignorer la douleur à ma cheville pour aller l'attraper par le collet.

« Y'a toute ma vie dans c't'or-- Argh ! »

Pas de bol, la douleur était vraiment forte et rester debout était, franchement, bien difficile. Ajoutons cela au fait que je venais pratiquement de lui sauter dessus et que le plancher était mouillé et... ouais, j'aurais du y penser avant en vrai. Pas très étonnant que je me retrouve à chuter de nouveau et à emporter le gars là avec moi. Pire, je tombai sur lui et, en fond, un nouveau craquement que j'associai à ce qu'il restait de mon ordinateur. Petite mise à jour de ma situation donc : mon pc était fichu, ma cheville était bousillée, ma lèvre était toujours en sang et, petit bonus, j'étais maintenant allongée sur un mec que je connaissais pas au milieu du couloir menant à la salle de réunion du conseil des élèves. J'étais tellement au bout de ma vie que je fermai les yeux, appuyant mon front contre l'épaule de ce type, je le rappelle UN INCONNU, tout en poussant un grand soupir découragé.

« Je déteste ma vie... »

Franchement Elsie, là, tu t'es surpassée.

J'étais tellement au bout de ma vie là. Et cet inconnu y était pour beaucoup quand même, sans compter qu'il ne semblait pas près de faire quoi que ce soit pour se racheter. Enfin, bon, je pouvais comprendre l'envie que je déguerpisse de sur lui. J'allais me relever lorsqu'il me poussa un peu sur le côté. Je me retrouvais donc assise dans le couloir, à côté de ce type qui me revenait déjà pas. Et je dis pas ça à cause des cheveux bizarres ou de sa tronche de grand brûlé, j'étais du genre à essayer de passer outre ces trucs pour pas juger les gens. Surtout voilà, avec mes cheveux, me moquer des siens ce serait un peu l'hôpital qui se fout de la charité. Toujours est-il qu'il ne me fallu pas longtemps avant de comprendre que j'aurais toute la misère du monde à me lever et à marcher pour atteindre finalement cette fichue salle de conseil.

« Est-ce que tu peux juste me laisser tranquille ? »

Dis-je d'une voix morne, la tête basse, comme vidée d'énergie. Normalement je me serais sans doute excusée pour mon comportement, mais il avait quand même marché sur mon ordi. J'aimais pas ce type, j'avais pas envie de faire ami-ami avec lui et j'avais encore moins l'envie qu'il me voie tituber jusqu'au local du conseil. J'avais un minimum d'honneur quand même. Bon, vu l'état dans lequel j'étais ça pouvait pas être bien pire, mais voilà. J'avais pas en plus besoin qu'il me prenne en pitié parce que j'avais du mal à mettre un pied devant l'autre. Avec tout ça, j'avais sept minutes de retard. Plus vite il pourrait foutre le camp et plus vite je pourrais aller m'excuser, leur dire que j'avais eu un imprévu, mais que j'étais quand même motivée et prête à faire mon boulot. Pourvu que Levi ne soit pas fâché. Après mon petit speech de la dernière fois, celui où je lui disais que les gens voulaient l'aider et qu'il n'avait qu'à compter sur nous, j'espérais profondément ne pas l'avoir déçu.

Je ne réagis pas trop à sa remarque sur les ressources offertes par la présidence. Je le note mentalement, oui, mais je n'ai rien à lui répondre à ce sujet et je suis pas mal abattue. J'ai juste envie qu'il parte pour justement y aller, à cette fichue présidence. Mais il ne s'en va pas, même qu'il reste bien planté là et que je ne comprends pas trop pourquoi. Pire, il m'indique que mon maquillage a coulé et me donne un miroir de poche. Moi qui ne met que le strict nécessaire, c'bien le comble que le peu de mascara que j'ai, et seulement sur mes cils du haut, ait coulé. Je lui lance un regard sceptique et encore un peu abattu, mais il n'a pas l'air de vouloir se moquer ou rien. On dirait qu'il essaie vraiment de m'aider.

« Merci. Et désolé, pour ma réaction. Je voulais pas euhm, te faire glisser avec moi. »

J'allongeai la main pour récupérer le miroir de poche et découvrir mon reflet. C'est... Ah bah putain. C'est plus fort que moi, je commence à rigoler de ma propre tête. Sérieux, là, je fais peur. Les cheveux tout trempés, la lèvre rouge de sang, le mascara qui a coulé et la mine abattue, j'ai l'air d'être passée dans la machine à laver, littéralement.

« Bordel c'te tête ! Hahahahahaha ! Heureusement que c'pas un rencard. »

Je tourne inconsciemment mon regard vers l'inconnu. C'est un réflexe, comme pour chercher à l'inclure dans la blague, pour qu'on se moque ensemble de ma sale gueule, pour peut-être essayer de réparer les dégâts. Mais il a déjà commencé à s'éloigner. Est-il trop tard pour réparer les pots cassés ?

Et là, c'est le drame. La porte, la fichue porte que j'ai pas été fichue d'atteindre parce que je me suis pétée la gueule comme une imbécile, s'ouvre. Devinez qui en sort. Allez, devinez. Ouais. Exact. Je suis dans la merde. Je suis de fou dans la merde. Il m'est arrivé quoi ? Nan, sur ce ton, il en a rien à foutre, pas besoin d'avoir eu son diplôme pour deviner ça. Vite, je range le miroir de poche et je me lève, grimaçant de douleur à cause de ma cheville et me dépêchant d'essuyer ma lèvre et de brosser mes cheveux de la main. Le verdict est clair, je suis en retard et il est prêt à me renvoyer à ma résidence. Ouais bon, déjà ça va mal parce que j'habite en dehors du campus, mais en plus hors de question que je me tape une marche de la honte sous l'orage avec une cheville foulée et que je manque totalement cette réunion.

« Je suis là, je suis motivée. Je suis décidée à les prendre ces notes. »

Et j'ai mon pc en morceaux dans un sac et ma cheville en feu, je suis décidée de fou là. J'ai pas subit tout ça pour me faire retourner à la porte du conseil des élèves. C'est chaud de contester Levi, mais j'ai pas le choix. Si je lui tiens pas tête maintenant, que je fais pas ce qu'il faut pour entrer dans ce local et tenir mon rôle de greffière mieux que jamais, je ne sais pas s'il va me laisser me repointer à la prochaine réunion. Le président n'est pas connu pour sa patience légendaire et donc je dois courber l'échine et foncer, je dois m'accrocher, ne pas faire de vagues et faire ce pour quoi je suis là. J'ai pas bataillé comme une folle pour rien.

« Je ne ferai pas de bruit, je vais m'installer au fond du local et prendre en note le procès verbal. On aura tout le temps après la réunion pour que je t'explique la situation et que tu décides de ce qui doit être fait. Je suis de ton côté, je veux juste que la réunion puisse reprendre sans délai et que les choses soit bien faites. S'il-te-plait, Levi. Je demande juste à faire mon taff pour que tu puisses faire le tien. »

Ce soupir me fait mal, je l'admets. Je sais qu'il est frustré, probablement déçu. Une fois de plus il tient sa position : pas question de me laisser entrer. Je sens mon coeur lentement me tomber dans les pieds, convaincue que c'est la fin, que je n'aurai plus jamais la possibilité de participer dans les activités du conseil. Qu'est-ce que je vais dire à Ombeline, elle qui a déjà commencé à bosser pour préparer cette activité de team bonding ? Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire d'autre pour m'impliquer dans la vie scolaire et espérer m'intégrer ? Pour essayer de faire une différence ? Je ne sais pas. Heureusement, Levi, lui, a toujours son sang froid. Il faut lui donner ça, il gère. Ma cheville ? Je lui jette un regard, surprise comme si j'avais oublié momentanément son état alors que, pourtant, la douleur physique ne m'a pas quittée.

« Ce n'est rien, juste une mauvaise chute, ça ne me fait même pas si mal que ça. J'ai pas besoin de ma cheville pour prendre des notes, j'irai à l'infirmerie après la réunion. »

Vers la fin, ma voix s'est fait un peu plus émotive. Je dois faire attention, je ne dois pas craquer. C'est juste que ça compte tellement pour moi. Tout comme les autres je fais des sacrifices, je me démène, je donne de mon temps et je veux que ça paraisse. Et, surtout, je ne veux pas le décevoir. Sa dévotion, sa rigueur et sa passion pour s'occuper de l'école, c'est quelque chose d'inspirant. Beaucoup le trouvent imbuvable, mais la vérité c'est que j'ai un grand respect pour lui et pour ce qu'il fait. On aura beau dire tout ce que l'on veut, il fait ça pour les élèves, pour tous les élèves. Même si lui ne le voit sans doute pas comme ça, je ne peux m'empêcher de lui trouver une profonde bienveillance. Et j'ai envie de faire partie de ça et d'enlever ne serait qu'un soucis de ses épaules, pas d'en rajouter. À cette pensée, je serre les poings. J'ai baissé la tête, je n'ose même plus croiser son regard, mais je suis trop entêtée et trop honnête pour simplement tourner les talons.

« Je t'ai dit que l'on voulait t'aider, qu'on attendait juste que tu nous en donne la chance et au fond je peux pas parler pour les autres, mais moi je le pensais vraiment. Je veux vraiment faire du bon travail et me donner à fond et que tu sois fier de moi, je veux pas te décevoir. Je veux pas avoir dit ça dans le vide l'autre jour. »

Et là, la petite réalisation qui m'arrache un sourire triste, qui me fait repasser une main nerveuse dans mes cheveux, le regard toujours fuyant.

« Je dis ça, mais je suis en train de te faire perdre un temps précieux, n'est-ce pas ? Si tu ne veux vraiment pas de moi dans cette salle aujourd'hui, je comprends. Fais ce que t'as à faire pour le bien du conseil. Désolé de t'avoir déçu. »

Je dois l'avouer, je m'attendais à ce qu'il me remercie de ma compréhension et qu'il me ferme la porte au nez. Je n'aurais même pas pu lui en vouloir, à dire vrai. Il aurait eu totalement raison de faire ça. D'ailleurs, ce lui était peut-être même passé par la tête. Toujours est-il que, lorsqu'il se retourna pour aller parler au conseil, j'étais déjà prête à faire mon bout de chemin toute seule à cloche pied dans les couloirs. Et là... la surprise. Voir le prochain point sans lui ? Déjà sans greffière ça devait être un peu tendu, mais alors là sans le président ? Surtout que Levi  n'était pas du genre à s'occuper des trucs de façon désintéressée, il était investi plus que quiconque. Et pourtant, le voilà qui récupérait mon sac et m'entourait de son bras, pour m'aider à marcher. Je le regardais avec surprise, mais son regard sévère m'ordonna le silence. Je baissais la tête, pensant pour moi-même : chef, oui chef !

Nous commençâmes à marcher et c'est d'abord timidement que je m'appuyai sur lui, avant de me souvenir qu'il avait des choses à faire. Valait mieux faire ce que je pouvais pour ne pas être trop lente. Levi était attendu ailleurs, après tout. Dans ma concentration, je ne m'attendais pas à ce qu'il profite de ce moment de proximité pour me faire la morale. Selon lui, ma santé devait être ma priorité et ce avant tout le reste, qu'il s'agisse des cours, du conseil ou d'autre chose. La mienne et celle de mes proches. Malgré moi, j'esquissai un sourire attendrit et un peu gêné, un sourire con là. Heureux. Serait-ce donc sur la base de cette même logique qu'il avait choisi de m'aider à gagner l'infirmerie ? Me comptait-il parmi ses proches ? Mais, surtout, ce qui me faisait plaisir dans tout ça, c'est qu'il venait de confirmer mon avis à son sujet.

« Au fond tu caches bien ton jeu, mais t'es vraiment quelqu'un de bienveillant. »

Ah ouais, merde, il m'avait dit de pas parler ! Je détournai les yeux, un peu coupable.

« Désolé, je me tais ! »

Heureusement, ce ne fut pas trop long avant que nous atteignîmes la porte de sortie de la présidence. Suffisait de faire quelques mètres dehors et on arrivait à l'infirmerie. C'était pratiquement à côté. Du coup, je m'arrêtai, me tournant vers Levi avec un sourire reconnaissant. Il pleuvait encore des cordes dehors et le vent semblait toujours fort, la faute à l'orage. Au moins il ne semblait plus y avoir de tonnerre, mais tout de même.

« Tu devrais retourner avec le conseil, je sais que c'est quelque chose d'important pour toi et ce serait dommage d'être tout trempé par ma faute. Surtout que l'infirmerie est juste à côté, je peux me débrouiller. »

Aie. Ça fait mal ça. La mine basse le retour. Si mon opinion de Levi n'allait qu'en s'améliorant, j'avais l'impression que l'inverse, ce n'était pas gagné du tout. Il me prenait pour une idiote capable de me noyer dans une flaque d'eau. Ça va, j'étais un peu maladroite et la nervosité me rendait parfois stupide car j'avais peur de donner un avis réfléchi et de me tromper, mais ça ne voulait pas dire que j'étais véritablement une incapable. J'avais juste besoin d'être plus à l'aise et d'avoir plus de temps à ma disposition pour penser à ce que je disais, sans quoi... Bah je disais simplement les premiers trucs qui me passaient par la tête. Enfin, mettons cela de côté pour l'instant.

« D'accord, je disais juste ça pour toi. »

Car je me sentais réellement coupable au fond. Mais rouspéter plus longtemps n'allait pas l'aider, au contraire. Je ne lui ferais que perdre plus de temps. Fait étrange pour quelqu'un de pressé, d'ailleurs, il me demanda ce qu'il m'était arrivé. J'étais bien embêtée, et gênée. Mais bon, je ne savais pas dire autre chose que la vérité de toute façon alors à quoi bon.

« Je suis en sciences informatiques, notre bâtiment est à l'autre bout de la fac. J'ai du courir sous l'orage en espérant arriver à temps pour la réunion. Quand je suis entrée dans la Présidence, j'étais toute mouillée et mes pieds ont glissé, c'est comme ça que je me suis blessée à la cheville et à la lèvre. Et après ça... Ce type que je ne connais pas est arrivé, il a pas regardé ou je sais pas quoi, je sais pas comment il a fait son compte, mais il a marché sur mon sac. Je crois que mon pc est bousillé. Dans les faits j'ai une copie de tous mes dossiers importants à la maison sur un disque dur externe et en ligne sur un cloud, mais sur le coup ça m'a bien fait chier. M'enfin. Disons juste que c'est pas ma journée, mais que je voulais pas risquer de perdre ma place au conseil pour ces conneries. Désolé, pour le langage. »

J'avais raconté ma petite histoire du début à la fin parce que bah voilà. Je ne sais pas. J'avais ma journée sur le coeur il faut croire et il avait demandé alors c'était tout sorti d'un coup. Et le petit mot de la fin sur ma peur de perdre ma place de greffière avait donc été prononcé dans la lancée des choses, honnêtement et un peu maladroitement. Tristement, ce n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd et il y avait répondu d'un commentaire qui semblait... je ne sais pas. Il en avait l'air blessé ? Si le ton laissait planer le doute, le soupir qui avait suivi me donnait fortement cette impression. Un genre de lassitude. Bien joué Elsie.

« Je ne voulais pas dire ça comme ça c'est juste... J'ai toujours eu cette impression que t'étais quelqu'un de bien au fond, mais t'es intimidant et j'ai terriblement peur d'avoir fait une première impression... de merde. Et... »

Et je parlais vraiment beaucoup trop. J'étais trop honnête, je ne devais pas dire ces choses là aussi franchement, surtout qu'il avait autre chose à faire et que ça le ferait probablement bien chier d'avoir à m'écouter blablater. Si seulement j'étais capable de suivre mes propres conseils. Je ne savais pas quand j'aurais de nouveau l'occasion de lui dire ces choses, si je l'avais un jour. La vie est si courte, qui sait ce qui peut se passer.

« C'est en partie pour ça que j'organise cette activité avec le reste du conseil. Je me suis dit que si t'avais la chance de passer du temps avec eux en dehors des heures de réunion, peut-être qu'ils pourraient aussi voir le genre de personne que t'es en général, quand t'es pas le grand méchant président. Mais bon, je suppose que... je parle trop et que je me mêle pas de mes affaires, n'est-ce pas ? »

Il était si choqué qu'il s'était arrêté net, sur place, sous la pluie. Vu l'état de ma cheville, j'étais un peu forcée de faire de même, me tournant vers lui avec surprise. Aie. Je savais bien que ce serait difficile de le faire participer. Je ne voulais pas lui imposer quoi que ce soit, mais voilà. J'avais le droit d'espérer et, si c'était assez bien fait, peut-être qu'il aurait pu se laisser prendre au jeu. Je ne sais pas. Ça me paraissait simplement injuste qu'il se démène autant pour toute l'école, qu'il ne s'accordait pratiquement jamais de moments de repos et que, derrière tout ça, les gens le qualifiaient d'imbuvable ou qu'ils l'évitaient, effrayés par sa personne. Mais bon, comme je l'avais moi-même souligné, je parlais trop et je ne m'occupais pas de mes affaires. Déjà fatiguée par toutes ces mésaventures, je préférai simplement baisser la tête et regarder ailleurs, répondant d'un ton affaiblit qui ne me ressemblait pas nécessairement.

« Ouais. C'est clair. »

Et je n'ajoutai rien de plus, m'étant en quelques sortes refermée. J'attendais simplement que nous nous remettions en route, sentant mon corps commencer à trembler légèrement de froid sous la pluie. Ma volonté de bien faire et de m'impliquer et d'améliorer les choses s'était retournée contre moi, une fois de plus.

Je l'avais suivit dans le silence le plus complet, quelque peu soulagée à l'apparition de la porte de l'infirmerie. Il m'aida à m'asseoir et déposa mon sac alors que je le remerciais silencieusement, en bougeant les lèvres, mais sans émettre de son. Je me sentais toujours mal. Bien sûr je n'avais jamais voulu le forcer à quoi que ce soit, ça n'aurait pas été très respectueux, mais voilà. Ça ne m'avait pas empêchée de me motiver en me disant que peut-être, si je faisais assez d'efforts, le karma allait me récompenser et qu'il accepterait de participer. Comme toujours j'étais un peu trop bourrine et, du coup, j'avais sans doute bousillé mes chances. Vaudrait mieux que je me tienne tranquille quelques jours, que je fasse profil bas. J'avais fait mauvaise impression et il me faudrait plus de temps et d'efforts encore pour réparer ça.

C'est là que s'éleva la voix de Levi, me faisant relever les yeux vers lui avec une timidité un peu craintive. Non pas que je fus effrayée par lui, simplement par son avis de moi. Quel soulagement lorsqu'il reconnu que cela partait d'une bonne intention. Au moins il en avait conscience donc tout n'était peut-être pas perdu. Le long soupir, toutefois, me laissait comprendre que j'étais néanmoins un poids, une nuisance. Il n'avait pas envie d'être mêlé à mes idées, à mes intentions ou à mes projets. J'acquiesçai silencieusement, opinant du bonnet sans rien répondre. J'avais compris, pas besoin d'en rajouter, pas la peine d'essayer de me justifier ou quoi que ce soit. Il ne voulait pas en faire partie, c'était son choix et je devais respecter ça. Un autre moment de silence et... une nouvelle surprise.

Mon nom ? Je lui jetai un regard interloqué. Levi ne connaissait même pas mon nom ? Alors que je faisais partie du conseil des élèves ? Bon, là, okay. Si j'avais des remords, maintenant je me sentais bien moins coupable d'avoir voulu prendre des mesures pour le rapprocher des membres de son propre conseil. Enfin, si je n'avais pas réussi comme je l'espérais, j'avais au moins réussi à faire naître un intérêt suffisant pour ma personne pour qu'il daigne se forcer à apprendre mon nom. C'était une petite victoire et il était important de les célébrer. J'esquissai donc un sourire tempéré pour lui offrir la réponse à sa question.

« Elsie. Elsie Highwind. Enchantée. »

Ah.... Il était parti. Pourquoi poser une question si la réponse ne l'intéressait pas ? Je me renfrognai, déçue et amère. À se demander s'il avait seulement entendu ce que j'avais dit. Je mettais ça sur le compte de la réunion à laquelle il devait retourner, mais quand même. C'était... Pas sympa. Ouais, bon. Bref. La porte s'ouvrit et une autre personne, sans doute la dernière que je m'attendais à revoir, sorti du bureau de l'infirmière. Si je fus d'abord surprise de le voir, je le saluai néanmoins silencieusement. Sur un ton égal, moins énervé que plus tôt, il m'informa que l'infirmière en aurait pour un petit moment avant de pouvoir me recevoir. Avec tout ça j'en avais presque oublié ma cheville. Presque, parce que ça commençait à faire un mal de chien mine de rien.

« Merci de l'info. »

Je n'avais pas dans l'intention de poursuivre la conversation, à la base. J'étais fatiguée, j'avais mal et j'en avais un peu marre de faire des mauvaises impressions à droite à gauche et de me sentir encore plus mal après. Sauf que...

« Mais attends... Tu vas bien ? Tu t'es pas fait mal à cause de moi j'espère ? Je suis tellement désolée... »

Quel soulagement. Je ne l'avais pas blessé. J'en aurais été profondément désolée si tel avait été le cas. Enfin, la vérité n'était pas si bien que ça non plus. Je m'étais jetée sur quelqu'un qui avait des troubles de santé. Aie. Un genre de grimace coupable passa sur mes traits et, en guise de réponse, je ne laissai sortir qu'un :

« Je comprends. »

concis. Il n'avait probablement pas envie d'en parler, quoi que ce fut. Et je n'avais pas non plus l'intention de creuser. Si un jour il manifestait de lui-même l'envie d'en parler plus en profondeur alors soit, mais pour l'instant c'était tout sauf indiqué. Enfin, si j'avais été à sa place en tout cas je n'aurais pas voulu en parler. Bref, le voilà qui prenait place à mes côtés, à une chaise d'écart pour nous permettre de chacun avoir notre bulle comme on dit. Voilà qui était apprécié, je dois l'avouer. Esquissant un sourire un peu forcé, mais tout de même assez adorable, il me demandait s'il s'agissait bien de ma cheville. C'est à ce moment, en le regardant directement et en admirant son sourire, que je réalisai qu'il avait une blessure au visage. Enfin, ça ne m'empêcherait pas de continuer à le traiter aussi normalement que possible et, surtout, de lui offrir un sourire chaleureux en retour.

« Ouais, j'avoue qu'elle commence à faire un mal de chien. Puis je crois que mon ego aussi a besoin d'un petit check up, il a morflé sévère. »

Dis-je sur le ton de la blague, espérant alléger l'ambiance et, peut-être un peu, me distraire de la douleur. Mine de rien c'était vrai que c'était pas super super agréable. Je commençais à avoir hâte d'être reçue par l'infirmière pour me faire traiter et courageusement aller prendre le bus pour rentrer chez moi, au centre-ville. Mais avant ça...

« Je m'appelle Elsie. Encore désolé pour tout à l'heure, ya mieux comme premières rencontres. »