Cet après-midi, c'était cours de droit criminel. J'avais survolé les différents éléments à prendre en compte pour déterminer si une fouille effectuée par un agent de la paix était considérée comme abusive ou non et si, par conséquent, les preuves qui en résultaient pouvaient être utilisées en cour. Après cela, je leur avais présenté trois situations, les laissant fouiller et débattre entre eux. Satisfait, je m'étais frotté les mains et avait esquissé un sourire. Certains levaient déjà la main, mais je préférais les ignorer. Qu'ils cherchent un peu, qu'ils apprennent à se débrouiller. De toute façon nous reviendrions tous ensemble sur l'exercice peu de temps après. J'aurais alors l'occasion de leur expliquer les tenants et les aboutissants de ces mises en situation et de répondre à toutes leurs questions. Dans l'heure, ils devaient soit chercher, soit apprendre à bosser en équipe et soumettre leurs questions à leurs pairs.

Pas besoin de regarder ma tasse pour savoir qu'elle était vide. Je m'en saisis, une belle tasse noire sur laquelle on pouvait lire, en blanc, Student Tears. J'avais oublié qui me l'avait offert, si bien que si l'on me l'avait demandé, j'aurais simplement dit qu'elle m'avait été offerte avec le bureau. Enfin, l'important était qu'elle me donnait le sourire et que j'avais bien une vingtaine de minutes devant moi pour aller la remplir à nouveau. Je quittai donc la salle de classe, sans stress. Nous étions dans une fac, pas à la maternelle. Ces jeunes en avaient possiblement chié pour se retrouver sur mes bancs de classe. Je pensais à juste titre qu'ils auraient la maturité de se sortir les doigts du cul et de faire leur boulot.

Je me dirigeais donc vers mon bureau, là où j'avais laissé une bouilloire, du café instantané et un petit pot de sucre. Pas de lait pour moi. Puisque je buvais beaucoup de café, c'était bien plus économe tant financièrement qu'en terme de temps que de traverser la moitié du campus pour aller à la cafétéria. Je n'avais qu'à aller chercher de l'eau dans l'un des robinets des toilettes et ça faisait le café. Littéralement. Bref, je me dirigeais vers mon bureau lorsqu'une voix féminine m'interpella. Je me retournai, curieux. Était-ce une élève ? Non, c'était plutôt la charmante infirmière avec qui je n'avais pas encore eu la chance de discuter.

« Mademoiselle Rosae. Que puis-je pour vous ? »

M. Auclair se retourna donc suite à l’appel de la jeune femme, c’était un très bel homme il fallait l’avouer. Il avait clairement un certain charme. Les deux n’avaient jamais eu l’occasion de discuter, ils s’étaient croisés à certaines réunions ou dans les couloirs, mais rien de plus que de brèves salutations. Entre les cours de ce monsieur et le travail de cette mademoiselle, il n’y avait pas eu de grand moment de rencontre ! Avec très peu de professeur a vrai dire… Elisabeth côtoyait presque plus les élèves que les enseignants ! C’est le métier qui veut ça ! Mais bon, heureusement qu’elle a quand même quelques très bonnes relations avec les autres membres du personnel de l’université.

« Et bien, je reviens de la présentation « Prévention contre la drogue » à une des classes de droit et je me demande ce que vous faites dans le couloir. Vous n’avez pas de cours à donner à cette heure-ci ? »

A vrai dire, Lizzie ne connaissait pas du tout l’emploi du temps des professeurs, mais ils avaient quand même cours relativement souvent pour ne pas être dans les couloirs à n’importe quelle heure.
Cependant, alors qu’elle examinait ce grand homme de haut en bas, la jeune femme fut surprise de voir qu’il tenait une tasse dans sa main. Mais… attendez. Pourquoi il n’était pas en cours et pourquoi avait-il une tasse entre les mains ? Non... Ne me dites pas que… Si ? Il avait quitté un cours pour se chercher à boire ? C’est un homme sérieux, jamais il ne ferait ça ! A moins que l’infirmière fût mal renseignée ? Ah non ! C’est bon, ouf. M. Auclair n’avait pas cours, et il se contentait de se préparer comme il faut pour la prochaine heure. Oui ça doit être ça ! Forcement !
Elle enchaina donc avec un air un peu grognon. Tout le monde savait que Mademoiselle Rosae n’avait absolument aucune crédibilité en « mode méchante ». En même temps… quand vous êtes gentille et souriante à longueur de journée, vous ne faites absolument pas peur !

« Dites-moi, où allez-vous donc avec cette tasse à la main ? »

Je me demandais bien pourquoi elle m'avait interpellé ainsi. J'aurais pu comprendre qu'elle veuille simplement discuter, mais le ton ne semblait pas manifester ce genre d'intentions décontractées. Sans se faire prier, voilà qu'elle m'informait de la prévention qu'elle avait fait en matinée. Voilà qui était bien, mais qui était sans doute trop tardif et qui ne s'adressait probablement pas à la bonne clientèle. Nous étions à la fac, il fallait commencer ces choses plus jeune pour espérer les atteindre. Ceux qui souffraient vraiment de la drogue avaient décroché depuis longtemps. Enfin, bon, j'étais de mauvaise foi. Il y a avait de ces soirées parfois qui pouvaient être organisées entre élèves et aller très vite très loin. La prévention avait toujours du bon, en bout de ligne. L'infirmière n'en avait toutefois pas terminé, enchaînant sans s'arrêter pour me demander ce que je faisais dans les couloirs à cette heure. N'avais-je pas un cours à donner ? J'esquissai un sourire en coin malicieux, mon regard se détournant de la demoiselle, se dirigeant vers la droite, un peu vers le haut.

« Effectivement, on pourrait dire ça. »

Si je m'amusais de sa réaction ? J'avoue, j'étais un vilain garçon. Son visage pourtant mignon s'était renfrogné et je l'imaginais sur le point de mettre les poings sur les hanches et de me faire la morale en agitant un index inquisiteur. J'aimais bien ce genre de femme qui avait du caractère et un sens du devoir certain. Bon, cela pouvait parfois devenir emmerdant si elle se prenait trop au sérieux ou qu'elle ne savait jamais choisir le bon moment, mais juger l'infirmière qui se tenait devant moi en cet instant serait injuste puisque je ne la connaissais pas. Dans l'immédiat, elle ne semblait pas prête d'en démordre, me demandant où j'allais avec ma tasse comme si j'avais des comptes à lui rendre. Je lui répondis avec le sourire, détendu, une main dans la poche et mettant ma tasse en évidence pour appuyer mes propos.

« J'allais me faire un café, bien sûr. Vous en voulez un ? »

Comment ça « on pourrait dire ça » ? Il serait en train de lui-même séché un de ses propres cours ? Oh mais ça va barder ! Et ses élèves hein ? Ça se trouve ils sont en pleine révolution ou baston générale ou tout simplement perdu dans leur cours. Bon ce ne sont plus des enfants certes… Mais quand même ! Après tout… Ils sont surement le nez dans leur bouquin à réviser leur droit ou alors à faire un exercice pratique à l’aide de leur cours. Elisabeth s’inquiétait probablement pour rien. Elle espérait en tout cas !
Pour le coup Monsieur Auclair semblait totalement désintéressé de sa fonction à l’heure actuelle. Ou alors établissait-il une nouvelle méthode d’apprentissage par soi-même ? Peu importe ! Ce n’était clairement pas le moment de trainer dans les couloirs s’il avait bel et bien un cours… en cours.

« Non merci, je ne bois pas de café. Merci de la proposition »

En effet, elle n’aimait pas le gout du café – du thé non plus d’ailleurs, peu importe lequel-, c’était plutôt une amatrice de chocolat chaud, mais elle ne l’avoua pas devant son collègue. Cependant malgré son léger jugement sur les occupations de ce prof, elle refusa d’un ton tout gentil, réellement flattée par la proposition.

L’infirmière hésitait vraiment entre l’engueuler pour son manque de rigueur dans l’apprentissage de ces élèves et passer l’éponge parce que ce n’était absolument pas ses affaires. De toute manière, elle aura beau rentrer dans une colère noir proche du jugement divin, elle restera quand même le gentil petit bout de femme qui soigne les bobos. Mademoiselle Rosae tenta quand même le coup.

« J’aimerai savoir. Pour quelles raisons vous vous faites un café en pleine heure de cours ? Je sais bien que des gens sont absolument accro au café tel une drogue, mais quand même ! »

Un petit rire vint accompagner cette fin de phrase, elle s’était imaginé M. Auclair courir partout dans l’établissement tout débraillé avec des cernes pas possibles et les cheveux en bataille à la recherche d’une cafetière fonctionnel.

Elle refusa mon offre de café, ce à quoi je ne m'opposai pas. C'était la mieux placée pour savoir ce qu'elle voulait ou pas. Je pensais qu'elle me laisserait partir ou qu'elle aurait d'autres trucs importants desquels parler avec moi. Peut-être comptait-elle me demander à venir dans l'une de mes classes pour faire plus de prévention ? Non, on ne dirait pas. Elle était simplement choquée de me trouver là, me retenant ironiquement sur place pour me demander ce que je faisais là. Croyait-elle que je retournerais plus rapidement en cours parce qu'elle me ralentissait ? À dire vrai, ça ne lui avait sans doute pas traversé l'esprit. Mademoiselle Rosae désirait une réponse, totalement abasourdie par mon comportement. J'aurais pu lui dire que j'étais venu à l'école en chevauchant un dauphin que je ne l'aurais pas imaginée avoir une réaction différente.

« Et bien, c'est parce que je n'ai plus de café. »

Dis-je avec un léger sourire amusé en lui montrant le fond de ma tasse, là où reposait un cerne de café sec. Mon regard malicieux ne la quittait pas du regard, j'étais impatient de voir sa réaction. Allait-elle s'emporter encore plus ? Ce n'était pas très gentil de ma part, mais c'est elle qui avait tenu à se mettre le nez dans mes petites affaires. Bon aller, je devais au moins lui offrir quelque chose, sans quoi j'avais peur qu'elle m'explose entre les mains.

« Voulez-vous m'accompagner jusqu'à mon bureau ? Plus vite je mets l'eau à bouillir et plus vite je serai de retour dans mes locaux. »

Non mais il est pas possible lui ! Evidemment que c’est parce qu’il n’a plus de café ! Il n’allait pas se faire un café juste « pour le fun » ou pour en avoir de réserve. M. Auclair prenait-il l’infirmière pour une débile ? Ou se moquait-il simplement d’elle ? Au vu de son petit sourire, cette dernière hypothèse était la plus intelligente apparemment. Bien entendu, il n’échappa pas à l’air grognon de la jeune femme. Sourcils froncés, les mains sur les hanches. Elle aimait quand tout se passait bien : quand les élèves étaient en salle de classe à écouter attentivement leurs professeurs… présent aussi.
Elisabeth était sur le point de sermonner ce grand monsieur quand ce dernier lui proposa un deal assez intelligent. Il était vrai que le retenir ici au beau milieu du couloir à lui demander ce qu’il faisait n’arrangerai pas les choses. M. Auclair ne serait pas en cours mais cette fois ci ça serait de la faute de Mme. Rosae.

« J’accepte, c’est surement sur mon chemin. Je ne suis pas pressée de toute façon.»

La jeune femme se mit alors en chemin avec son collègue, toujours avec un air contrarié mais se détendant petit à petit. Plus vite il aurait fait son café, plus vite il sera de nouveau dans sa salle de cours ! C’est vrai qu’elle n’avait pas du tout pensé au fait de le forcer à se bouger plus vite plutôt que de le retenir sur place. Elle se gratta la tête avec un air gêné en repensant à sa façon de penser un peu bête et enchaina de nouveau avec une question. La solution au problème était mise en place, maintenant il s’agissait de juste veillez à ce qu’il retourne le plus vite possible auprès de ses étudiants.

« Je suis quand même curieuse. Que font vos élèves pendant que vous êtes là ? N’ont-ils pas plein de question à poser pour approfondir leurs connaissances en droit ? Vous êtes bien prof de droit si je ne me trompe pas ? »

La jeune femme avait accepté et c'est ainsi que nous nous mîmes en mouvement, direction mon bureau. Et voilà, elle l'avait fait, les mains sur les hanches. Valait mieux que je regarde ailleurs pour qu'elle ne remarque pas mon immense sourire moqueur suite à cette petite blague entre moi et moi. Ce n'était pas très sympathique, d'autant plus que j'aimais entretenir de bonnes relations avec mes collègues, dans la mesure du possible. Je m'arrêtai face à la porte de mon bureau, retrouvant un air plus neutre en cherchant mes clés dans ma poche pendant que mademoiselle Rosae reprenait la parole. Cette fois, ses questions se faisaient plus précises. Le sujet n'avait pas changé, mais elle faisait preuve de curiosité au lieu de s'arrêter à sa perception de mon absence en classe. Et comment résister alors qu'elle me posait ce genre de questions... Un gamin, j'étais toujours un gamin.

« Cela pourrait effectivement expliquer pourquoi mon bureau se trouve dans le bâtiment de droit. Navré, ne me frappez pas s'il-vous-plait, à mon âge j'ai les articulations sensibles. »

Dis-je en lui adressant un regard amusé, faisant mine de relever l'épaule pour me protéger le visage, comme si j'avais réellement peur que cette jolie petite infirmière décide de me tabasser. Toujours est-il que la porte était à présent ouverte et que j'y entrai sans attendre pour récupérer ma fameuse petite bouilloire électrique. Ne me resterait plus qu'à aller chercher de l'eau dans la salle de bain la plus proche, flanqué de mon acolyte du jour.

« Ils sont en période d'exercices. Ils doivent utiliser leur code pour déterminer si une perquisition est abusive ou non et le justifier à l'aide d'articles de loi. Ils ont trois situations à faire dans un délai d'environ 20-25 minutes. On fait un retour après en classe où je réponds à toutes leurs questions. En attendant je les laisse à eux-même pour approfondir leur débrouillardise et les forcer à travailler en équipe. Et tester leur sens des responsabilités. Mais dites-moi plutôt pourquoi cela vous tient autant à coeur ? »

Il faut bien avouer que la petite remarque sarcastique du professeur de droit à réussit à faire apparaitre un sourire amusé sur le visage de cette chère infirmière. Après tout, ce n’était nullement quelqu’un qui jugeait les gens -seulement qui les sermonnait de temps en temps-, elle n’était pas insensible à l’humour ! Elisabeth avait beau reprocher à M. Auclair de ne pas être en cours auprès de ses étudiants, elle était obligée de constater le caractère sympathique de ce grand monsieur. La jeune femme voulant essayer de garder le peu de crédibilité qu’elle avait, se retint de donner un léger coup sur le bras de son collègue pour faire semblant de le taper. Faire ça, annulerait tout le pseudo sermon qu’elle avait tenu jusqu’à maintenant.

Alors que la porte était ouverte que le prof’ y entrait pour aller cherche de quoi faire son café, la jeune femme l’attendit dans le couloir. Ca ne servait à rien de l’accompagner dans cette petite salle, elle ne faisait pas huit cent mètres carrés, il ne pourrait pas se défiler !
M. Auclair en ressortit donc avec une petite bouilloire électrique avant de se remettre en chemin vers une salle d’eau pour la remplir. Sur le chemin, il prit quand même la peine de répondre aux interrogations de son interlocutrice.

C’était intéressant. C’était effectivement une situation qu’avait envisagé Elisabeth. Bien que la méthode se trouvait être assez intelligente, laissant donc les étudiants livrés à eux-mêmes en situation de réflexion ; il ne fallait quand même pas négliger la surveillance ! Oh ce n’était plus des gamins à se bagarrer sur les bancs de l’école comme les enfants en bas âge, mais qui sait s’ils travaillaient vraiment !

« Eh bien, il faut avouer que j’aime quand les choses se passent bien. Les élèves en classe, les professeurs leur apprenant ce qu’il y a à savoir sur leur matière. »

Tout à coup elle repensa alors à certains élèves qui venaient à l’infirmerie dans le but de sécher les cours pour aller faire des bêtises à l’extérieur. Ce n’était pas vraiment grave ou quoi, mais c’était important pour elle. Lizzie voulait de tout cœur que tous ces jeunes qu’elle croise chaque jour réussisse dans la vie, qu’ils aient bien écouté en classe pour avoir une culture et des compétences.

« Vous savez M. Auclair, sincèrement je trouve votre méthode intéressante. Cependant, il ne faut pas trop négliger le coté distrait de certains élèves qui peuvent profiter de la moindre occasion pour ne pas travailler. Même si normalement ils sont tous ici pour se donner à fond… il y en certain qui profitent de la situation. »

L'infirmière aimait les choses qui se passaient bien hein ? Avec une philosophie comme ça, elle devait être malheureuse souvent. La vérité était que nous ne pouvions pas tout contrôler dans la vie et que d'essayer de le faire ne servait à rien d'autre qu'à se faire des cheveux blancs. Et oui, je parle d'expérience, suffit de me regarder la barbe. Enfin, elle avait de bonnes intentions, mais l'expérience semblait lui manquer, le détachement. Mademoiselle Rosae prenait ces choses trop au sérieux. D'ailleurs elle n'en avait pas fini, décidée à me dire comment faire mon travail. Malheureusement pour elle, ça entrait d'une oreille et ça sortait de l'autre, presque littéralement. C'était au point où je me sentais obligé de lui expliquer les choses, mais je voulais le faire bien.

« Un instant, je ne serai pas long. »

Dis-je avant de disparaître dans la salle d'eau des hommes pour y remplir ma bouilloire à l'aide du robinet. J'en profitai pour mettre mes pensées en ordre, préparant la façon dont je lui apprendrais mon point de vue. Comme quoi, malgré ses critiques, je continuais d'enseigner même en dehors de ma classe. Lorsque je retournai dans le couloir, ma bouilloire pleine d'eau tiède et essuyant ma main humide sur mon pantalon, je lui adressai un sourire confiant. J'étais prêt à lui faire comprendre les choses telle que je les voyais.

« Voyez, tous ces élèves sont techniquement majeurs, ils ont atteint l'âge de raison. Ils sont capables de prendre leurs propres décisions. S'ils veulent bosser et réussir, ils vont faire ce qu'ils ont à faire et sinon, c'est leur décision, pas la mienne. Puis mon absence prouve que je leur fais entièrement confiance. C'est important de montrer à ses élèves qu'on les estime et qu'on les croit capable de faire les choses sans qu'on soit toujours là pour jouer à la police. Ce sont de bons gamins, ils n'ont pas envie de me décevoir parce qu'ils savent que je leur fais confiance. C'est comme ça qu'on leur donne envie de bosser. »

Maintenant que je lui avais expliqué l'idée derrière la méthode, la jeune femme paraissait apaisée et, du même coup, de plus agréable compagnie. Prendre son métier trop à coeur était une chose, mais j'avais du mal à voir en quoi houspiller un enseignant dans le couloir faisait partie de la description des tâches d'une infirmière. Mais bon, au moins ça partait d'une bonne intention. Lorsqu'elle mentionna que certains étaient de vraies énergumènes, je ne pu que répondre en riant.

« Ah ça... J'ai de la chance d'être en droit, ici ils se tiennent un peu plus à carreau qu'ailleurs. Bon par contre l'ego... »

Créature sociable, mademoiselle Rosae restait plantée devant la porte des toilettes pour relancer la conversation. J'écoutai ce qu'elle me disait en lui faisant signe de me suivre, direction mon bureau. Si quitter ma classe durant les heures de cours ne me donnait pas mauvaise conscience, j'étais néanmoins une personne d'action qui détestait perdre son temps. La simple idée de rester là immobile à taper la discute alors que j'avais des choses à faire m'énervait. Puis il faudrait bien attendre que l'eau boue alors bon.

« Contrairement à d'autres domaines, le droit n'est pas un domaine statique. Moi-même j'en apprends chaque jour. De nouvelles lois sont passées, des règlements sont amendés. Il faut d'ailleurs être particulièrement au courant des actualités juridiques en droit criminel. Il suffit d'une nouvelle décision de la Cour suprême qui vienne contredire des jurisprudences passées et l'interprétation d'un article de loi peut changer du tout au tout. C'est pour cela qu'il faut toujours être curieux et chercher l'information soi-même. C'est aussi pour cela que je quitte la classe durant les exercices, ils doivent développer cette passion de la recherche, cette débrouillardise, sinon ils n'arriveront jamais à rien dans le vrai monde. Hors de question de les laisser se reposer sur leur enseignant pour leur donner toutes les réponses ou les tenir par la main. Il faut les laisser se débrouiller, quitte à faire des erreurs. Vaut mieux ici que dans le monde du travail, puis c'est par les erreurs que l'on apprend. »

Elle s'empressa d'aller en mon sens, faisant un parallèle avec ses cours de médecine. Oui bon, l'erreur était là bien pire. Quoi que... Qu'est-ce qui est vraiment le pire ? Tuer quelqu'un ou le condamner à la prison à vie ? Dure décision. Toujours est-il que la demoiselle était souriante et détendue à présent, ce qui n'était pas un luxe. Je branchai la bouilloire et la mis en marche, satisfait de mes petites affaires et préparant ma tasse. Un cuillère de café et une de sucre, pas besoin de plus. Attendant poliment en retrait, mais toujours aussi positive, mademoiselle Rosae manifesta l'espoir que mon café soit bon ou, à tout le moins, assez pour me faire oublier son rouspetage. C'est qu'elle avait du talent pour me tendre des perches.

« Avec une crème telle que vous à mes côtés, il ne peut qu'être délicieux. »

Lui dis-je en souriant, ajoutant un clin d'oeil pour bien ajouter du poids à mes propos. Après m'être amusé à la taquiner comme cela, il était bien naturel de chercher à me rattraper un petit peu. Ceci étant dit, je pensais soudainement à autre chose. Si mes propres élèves pouvaient se débrouiller tous seuls, et même qu'ils devaient apprendre à le faire, qu'en était-il des malades ? Des gens qui pourraient se rendre au cabinet de l'infirmière dans le but de recevoir des soins ? Certes elle avait bien le droit à une pause elle aussi, mais quelque chose me disait qu'elle serait plutôt contrariée de ne pas y avoir pensé et de ne pas avoir été là pour un élève.

« Dites-moi plutôt, y a-t-il quelqu'un d'autre que vous à l'infirmerie ? Il serait malheureux que quelqu'un se heurte à une porte close car vous étiez occupée à me tenir compagnie. »

Je fus rassuré par sa réponse, bien que quelque part j'aurais dû m'en douter. Une seule infirmière pour tout une fac ce ne serait pas vraiment raisonnable. Poursuivant sur sa lancée, elle m'expliquait le genre de cas qu'ils avaient à traiter. En effet, rien qui ne semblait trop grave. Quant aux billets d'absence...

« De toute façon ils savent ce qu'ils font à cet âge. C'est de leur responsabilité après de rattraper la matière perdue et de ne pas laisser leur absence leur nuire dans leurs études. »

Surtout que la fac ce n'était pas comme la petite école où l'on répétait tout cinquante fois pour que la petite brute au fond de la classe ait bien compris. Manquer deux ou trois heures de cours représentait une quantité de matière non-négligeable qu'il pouvait être difficile de rattraper sans l'encadrement d'un professeur. Après j'étais de cette école de pensée du vivre et laisser vivre, convaincu qu'il n'était pas de ma responsabilité de les tenir par la main, seulement de faire cours, de répondre à leurs questions et de corriger leurs travaux pour leur permettre d'apprendre de leurs erreurs. Leur manque de sérieux et leur taux d'absentéisme ne me concernait pas. Bref, toujours est-il que je m'occupais de mon café, m'activant en jetant un regard en coin à l'horloge. La période attitrée à l'exercice se terminait dans quatre minutes. Tout juste le temps de verser l'eau chaude, de brasser mon café et d'offrir un nouveau sourire à l'infirmière.

« Et voilà, je retourne auprès de mes étudiants. Vous pouvez avoir l'esprit tranquille. »