Ce jour-là, j'étais souriante. Ma cheville ne me faisait plus souffrir, mon nouvel ordinateur serait bientôt là, j'avais retrouvé mon chat et rencontré de nouveaux gens, des amis potentiels. Miles, Lyon, Aedan, Baby. Je me sentais un peu moins seule, un peu moins dans la défaite. J'avais repris du poil de la bête. Ayant retrouvé une démarche confiante et motivée, j'étais entrée dans le bâtiment de la présidence en portant un petit plateau dans lequel se trouvaient deux cafés. Un pour moi, un pour le président. En espérant que j'arrive à le croiser. J'étais probablement la dernière personne qu'il avait envie de voir, surtout que j'avais encore des trucs à lui demander, mais j'avais mes projets à coeur. Hors de question que j'abandonne. J'étais trop investie, ce qui était un peu une règle avec moi dans tout ce que je faisais.

Toujours est-il que j'arrivai à la porte du conseil des élèves, salle qui devait être inoccupée à cette heure. J'avais parié sur la présence de Levi, mais la vérité est que j'aurais tout aussi bien pu me heurter à une porte close ou à un local vide. Après avoir pris une grande inspiration, je cognai trois fois et tournai la poignée. Victoire, c'était ouvert ! J'ouvris la porte et glissai la tête à l'intérieur, souriante, mais essayant de me faire discrète. Je ne voulais pas non plus déranger, sait-on jamais.

« Levi ? T'es là ?»

J'aperçu une tête brune dans la pièce, mais ce n'était pas celle à laquelle je m'attendais. Qu'est-ce que faisait le fou furieux de la salle d'info dans la Présidence ? Dire qu'il faisait justement partie des sujets de discussion que je voulais aborder avec Levi pour avoir des éclaircissements à ce sujet vis à vis de la position de la fac à propos de lui. Et maintenant le voilà qui fouillait allègrement dans les coffres du conseil des élèves, pour une raison inconnue, sous la supervision d'absolument personne. Il me parla de Levi, m'annonçant qu'il était en cours avant de sourire en regardant mes cafés. Ah ouais, maintenant le président parlait de moi à des gens ? Sans doute pensait-il m'émouvoir et détourner mon attention du véritable problème. Je n'avais aucune raison de croire qu'il savait quoi que ce soit que j'ignorais ou même qu'il était fiable, je ne savais même pas s'il connaissait effectivement Levi. Pourquoi le croirais-je, simplement comme ça ?

« J'espère que tu comprends de quoi ont l'air les choses en ce moment. Je fais partie du conseil des élèves, je ne te connais pas et je viens de te trouver en train de fouiller dans notre budget, sans qu'aucun autre membre du conseil ne soit présent, et dans je ne sais quel but. Je vais donc t'accorder le bénéfice du doute pour l'instant si tu es capable de m'expliquer la situation et de me dire de qui tu as reçu l'autorisation de prendre cet argent. »

Avais-je dit en restant aussi calme que possible. Je ne voulais pas avoir l'air menaçante ou quoi que ce soit du genre, je voulais simplement dialoguer et avoir des réponses. J'avais des devoirs envers ce conseil, envers cette école, et ça me tenait à coeur. J'étais encore dans l'embrasure de la porte et ma cheville était guérie depuis le temps, je pouvais facilement prendre la fuite au besoin. Si j'étais sur mes gardes ? Forcément, la dernière fois que j'avais vu ce gars il nous avait menacé, Miles et moi, avec un clavier. Qui sait ce qu'il pouvait faire maintenant que je l'avais pris la main dans le sac. Ou plutôt, la main dans le coffre.

D'où savait-il que j'étais greffière ? Je ne lui avais rien dit, n'est-ce pas ? Alors Levi lui aurait vraiment parlé de moi ? Voilà que je ne savais pas trop comment prendre ça. C'était... assez bizarre. Savoir que le président du conseil des élèves avait parlé de moi à quelqu'un d'autre en mon absence. Je me demandais si, au moins, c'était positif ou pas. Quoi que vu comment ce gars semblait se comporter, je l'aurais cru capable de m'induire en erreur juste pour se moquer de ma gueule. Enfin, au moins il avait fait l'effort de me présenter une réponse satisfaisante, sur laquelle je ferais des vérifications plus tard, pour avoir la conscience tranquille.

« Le journal, je vois. D'accord. »

Petit moment de silence, d'hésitation. On dit que la curiosité est un vilain défaut et, à dire vrai, j'allais probablement le regretter. Je savais que je le regretterais, même. Mais j'étais curieuse. Après tout ce qui s'était passé, surtout la dernière fois avec ma cheville et l'infirmerie et tout, est-ce que Levi s'était plaint de moi à quelqu'un d'autre ? Avais-je ruiné mes chances de faire une bonne impression et de cimenter ma place dans le conseil des élèves ? Je devais savoir.

« Et sinon qu'est-ce que... l'on t'a dit à propos de moi ? »

Il s'était installé, s'appropriant une chaise. Visiblement il semblait prêt à faire la conversation et, surtout, il avait l'attitude de ceux qui aiment se sentir maître des choses, cette confiance, cette arrogance. Cela transpirait tout au travers de son sourire que je qualifierais de mauvais. Pourquoi voulais-je savoir ? Pourquoi ne voudrais-je pas savoir, vraiment ? N'était-ce pas dans la nature humaine ? La curiosité, toujours la curiosité. Je mis trop longtemps à répondre, il enchaîna tout seul. Je m'attendais à pas mal de choses, des petites infos qu'il aurait pu apprendre par Levi, des trucs comme ça. Mais ce qu'il me sortit, c'était d'un tout autre niveau.

« Holy fuck. Mais t'es un putain de stalker ou quoi ? »

C'était sorti tout seul, sincèrement. J'en étais bouche bée, essayant de trier mentalement ce qu'il avait pu apprendre par le président et ce qui devait être venu d'ailleurs. Greffière d'accord, barista j'emportais toujours des cafés et parfois des donuts alors forcément. Je parlais de mon chat à droite à gauche et j'en avais sans doute des poils sur mon sac. Mes fréquentations, par contre, là ça devenait un peu intense. Sauf qu'il s'était arrêté après l'épisode de la cheville. Il n'avait pas parlé de Lyon, d'Aedan ou de Baby. Il n'avait pas parlé de rencontres s'était déroulées après ma dernière interaction avec Levi. Ce dernier était présent, pour l'incident de l'ordinateur, et savait que je préparais une activité. Cela pouvait expliquer pas mal de choses. Enfin, maintenant que je rationalisais tout ça, une autre question me taraudait.

« Mais pourquoi t'as retenu tout ça sur moi ? T'aurais au moins pu retenir des trucs sur une personne intéressante. »

Car il me semblait improbable qu'il ait retenu ce genre d'information par coeur sur tous les gens de la fac. Une poignée peut-être, mais pas tous, ça semblait juste totalement impossible. Qu'avais-je donc fait pour me mériter une place dans la liste des gens sur qui il enquêtait ? Et d'ailleurs, comment avait-il eu mon... oh. Mon regard s'illumina. Presque littéralement. Je m'assis à une autre chaise, déposant mes deux cafés sur la table, environ à mi-chemin entre le brun et moi-même. Je ne le quittais plus des yeux, le considérant subitement autrement.

« T'as eu mon adresse en t'introduisant dans mon dossier scolaire. T'as utilisé un backdoor pour entrer dans le système de la fac ? »

Il ne répondit pas à ma question, se contentant plutôt de simplement répéter ce que j'avais déjà dit. Ça ne me fit ni chaud ni froid, honnêtement. Si je ne le pensais pas déjà je ne l'aurais pas dit moi-même alors bon, que lui le dise qu'est-ce que ça pouvait bien me faire ? Par contre, il insista sur le fait que je n'étais pas la seule personne sur qui il avait des dossiers. Évidemment, mais ça ne répondait pas trop à ma question, il ne faisait que l'éviter. Il y avait anguille sous roche. Il était prêt à me raconter ma vie, mais pas à me dire pourquoi il était au courant ? Et finalement il avait évité de parler de Levi alors que, pourtant, c'est avec une mention au président que tout ceci avait commencé. Puis, la petite déception. Pas de backdoor ?

« Ah, t'as juste chipé le code d'un membre du personnel du coup... »

Moi qui étais curieuse, qui espérait parler de trucs techniques et tout. Bon c'était pas super clean comme sujet de discussion, mais j'aurais été dans le mauvais domaine d'étude si je ne m'intéressais pas à ces choses. Mon intérêt était purement professionnel. Enfin bref, j'avais envie d'aller au fond de cette histoire pour avoir retiré de lui tout ce que je pouvais avant de partir. Si sa compagnie ne me semblait pas agréable per se, elle avait le mérite de piquer ma curiosité. Enfin, s'il évitait toutes mes questions je serais vite ennuyée et sans doute que je n'y verrais plus d'intérêt, mais pour l'instant j'étais prête à tenter ma chance.

« Du coup, tu comptes me dire ce que Levi t'as dit à propos de moi ou pas ? Ou tu m'as juste dis ça pour me bait et en vrai il t'a rien dit du tout ? »

Et voilà, il venait de me traiter de connasse. Bon, je n'avais pas à endurer de me faire parler comme ça ou à le laisser faire. Je n'avais pas trop écouté la suite, occupée que j'étais à récupérer mes trucs, dont mes cafés, et à me préparer à partir. Car oui, il était hors de question de laisser les précieux breuvages ici, à la portée de ce type que je ne pouvais décidément pas sentir. Je ne commentai pas sur la stupidité de sa réponse, ni sur son silence vis-à-vis de ce que Levi lui avait hypothétiquement dit. Qu'est-ce que j'en avais à faire au fond ? J'étais ici pour faire mon boulot et c'est ce que j'avais essayé de faire. Le président n'était pas là, tant pis, je repasserais en une autre occasion pour lui demander ce que j'avais à lui demander. Je n'avais pas de temps à perdre avec l'autre con là.

« Allez salut ! »

En espérant que je ne le recroise pas avant un loooong moment.