il pleut. Normalement il y a de quoi se réjouir pour le gérant du salon de thé, la pluie automnale a toujours été d'une grande aide pour attirer les clients potentiels, habitués ou nouveaux, qui ne manquent jamais de s'ébrouer bruyamment dans l'entrée avant même de le saluer, mais il serre les dents. Tant pis si on estime que ruiner ses efforts de ménage et de cirage de parquet est plus important que de le saluer, car ce qu'il sait, c'est qu'une fois rentré ici, on y reste un moment. Il faut dire que la décoration est sobre mais agréable, quelques grasses et des cactus, certains en fleurs, des meubles en bois sombre laqué, des fauteuils confortables et... et surtout le thé, pardi ! Et quel thé. Plus cher que celui de la supérette déjà en sachet, oui, mais qui voudrait salir ses papilles avec ? Blini a du mal à comprendre les personnes fauchées, quand il s'agit de thé.

Toujours est-il que pour l'instant, il est seul. Seul dans la vie, oui, mais surtout seul dans son joli petit salon, pas la peine de remuer le couteau dans la plaie non plus. Son adorable boutique, entièrement nettoyée il y a quelques jours à peine... Il a même dépoussiérer toutes les boîtes de thé qui recouvrent le mur derrière le comptoir ! Mais il n'y a personne pour être témoin de ses efforts. Obligé de mettre la radio pour quand même avoir une présence sonore et ne pas se sentir abandonné. Si seulement le chat errant de la rue marchande venait comme il le fait parfois pour s'abriter et se lover tout près d'un des radiateurs... Mais non, même pas de chat, juste le plic-ploc du distributeur d'eau chaude à peine audible, étouffé par la pluie.


En fait, il s'ennuie, là, tout seul, à écouter des tubes démodés et des pubs pour une enseigne de grande distribution. Découragé, il repart dans l'arrière boutique en emportant la radio pour mettre à jour ses comptes. Quitte à s'ennuyer, autant faire quelque chose d'utile et ne pas avoir l'impression que la journée est totalement perdue.

C'est mal rangé. Son lit est fourré dans un coin, ses affaires personnelles plus ou moins entassées dans des cartons et dans une armoire tenant à peine debout. Seul le bureau est propre et bien tenu. Il s'accoude, sort quelques classeurs, le livre de compte du trimestre et vérifie chaque ligne scrupuleusement. Tout est bon pour oublier qu'il est tout seul et qu'il n'a rien à faire, même pas un ami à appeler.


Le carillon de la porte d'entrée ! Blini se dépêche, aussi excité à l'idée de voir un client qu'un chien qui attend que ses maîtres rentrent du travail, il en oublie même de fermer et de ranger ses classeurs. Vite, il se dirige vers le comptoir, tout sourire, et accueille comme il se doit le nouveau venu, quelqu'un qu'il n'a jamais vu ici auparavant. Il ne peut s'empêcher de l'accueillir avec beaucoup plus d'entrain que nécessaire :

─ bonjour, bienvenue ! installez vous, je vous en prie.

Il attrape une des cartes détaillant les variétés de thé qu'il possède, vert, blanc, oolong, noir... Et attend que le client s'installe pour lui donner.