L’heure se termine, et tu laisses échapper un lourd soupire. Tu avais des jours comme ça, ou bizarrement, tu manquais juste de motivation, mais où tu forçais quand même les choses parce que, quand même, il était impensable que toi, tu te mettes à sécher les cours, ou à ne plus écouter durant ces derniers. C’était pas simple avec le prof que vous aviez, en médecine. Sa voix à peine audible était parfois problématique, et il ne semblait pas réellement avoir d’autorité. Certains professeurs forçaient immédiatement le respect, si bien que les étudiants généralement se tenaient à carreaux, mais avec De Guise, c’était pas fou. M’enfin, tu ne lui en voulais. De toutes façons, tu n’étais pas de ceux qui étaient capables de remettre en question un professeur. Tu partais du principe qu’il avait du bosser pour en arriver là, aussi, c’est qu’il avait des compétences que tu n’avais pas et que tu n’avais donc pas le droit de le remettre en question, peu importe ses méthodes.

Tu étais sorti de la salle parmi les premiers, et puis, tu t’étais rendu compte après quelques pas que ton sac pesait anormalement peu sur ton épaule. Tu avais ton immense classeur dedans, normalement. Du moins, tu l’avais ce matin en quittant la résidence. T’arrêtant au beau milieu du couloir, tu l’ouvres … il est vide. Pas de classeur. Et subitement tu te souviens, tu te rappelles, tu l’as retiré et posé au sol en début de cours tout à l’heure. Il est sans doute encore dans la salle. Du coup, tu fais demi-tour, bousculant quelques épaules, tu reviens à ton point de départ et tu te faufiles jusqu’à ta place pour y ramasser le classeur qui effectivement, traîne sur le sol, avant de te prendre les pieds dans un siège et de manquer de t’étaler au sol. Tu te rattrapes, heureusement, soupirant alors que tes deux mains prennent appui sur une table.

C’était moins une dis donc. Un peu plus, et tu te retrouvais à l’état de larve sur le sol de l’amphi. La honte, sérieux. Heureusement que t’as quand même quelques réflexes, et heureusement que ce bureau était là aussi. Tu souffles un grand coup, histoire de te remettre de tes émotions, tout ça, et puis… tu relèves la tête. Et ça là que tu le vois. Tu ne l’avais pas remarqué avant. T’as dû passer à côté de lui sans faire attention, trop focalisé sur la recherche de ton classeur.

T’as dû le surprendre, ou alors lui faire peur. Un mélange des deux, sans doute carrément, parce qu’il te fixe un instant, le regard un peu perdu, avant de finalement te sourire, timidement. Sa toute petite voix te parvient alors aux oreilles, tu es tout proche, alors pour le coup, tu l’entends plutôt bien. « Je suis désolé. » T’empresses-tu de lancer. Et dire que lui, en face, il s’inquiète de savoir si tu vas bien. « J-Je vais bien. J’ai juste … C’est à cause de la chaise. » Ouais, elle a bon dos la chaise, dis donc. C’est juste que t’étais pressé, comme d’habitude, et que t’as pas fais attention quoi. Tu pensais qu’il n’y avait plus personne, en plus. Alors vraiment, sa présence te surprend énormément. « Je ne voulais pas vous surprendre, vraiment, toutes mes excuses. » Wouah, alors ça. Attention Aedan, tu vas faire neiger. Toi qui prends le temps et la peine de t’excuser ? C’est le scoop du jour. De la semaine. De l’année, même, soyons fous.

Bon. C’est plus de peur que de mal, à priori. Ça va. T’as trébuché comme un débile profond, mais pratiquement personne t’a vu faire à part… ton prof. Et forcément, ça te gêne un peu, parce que même si t’es pas le genre chouchou du prof, t’aimes quand même préserver une certaine image, une certaine réputation auprès de tes professeurs. Pour le coup… t’as sans doute imprimé dans la tête de Monsieur de Guise, l’image du mec qui se prends les pieds dans une chaise. Bon sang.

Et ça s’excuse, et ça s’inquiètes des deux côtés. Vraiment pas rendus, à ce rythme, hein. Bon, au moins, lui ça va. C’est que, c’est vrai que tu l’as remarqué, qu’il a l’air vachement fragile, ton professeur. Quand on le regarde, de loin, on dirait vraiment pas, mais pour fréquenter chacun de ses cours très assidûment depuis le début de l’année, tu sais ce qu’il en est. Du coup, même si c’est pas dans tes habitudes, tu ranges un peu ta fierté de côté. « Euh … oui, oui. Vraiment. » Tu jettes un œil à la chaise, et puis finalement tu te redresses, tu retires les mains de son bureau et tu laisses tes bras retomber le long de ton corps, poings serrés, tandis que tu baisses les yeux vers tes pieds, tapant légèrement du pied sur le plancher pour vérifier que ton pied va bien. « Ça m’apprendra à me presser tout le temps. » Ton visage reste totalement impassible, jusqu’à ce que tu te mettes un désigner ton sac dans lequel tu as mis ton énorme classeur. Qu’est-ce qui te prends aussi de trimbaler un machin pareil toute la journée ? C’est censé rester sur ton bureau pour tout classer, tout ranger en fin de journée, voir en fin de semaine. T’es fou de le promener comme ça … surtout que d’ici deux mois, il sera sans doute bien trop lourd pour ça. « J’avais oublié mon classeur, en fait … je voulais pas vous déranger. En fait, je vous avais même pas vu… » La honte quoi, il était tout de même pas invisible, au contraire.

... Est-ce qu’encore une fois, tu n’aurais pas parler trop vite ? Tourner sa langue dans sa bouche avant de l’ouvrir. Qui disait ça, déjà ? Ta mère. Sans doute. Un modèle de sagesse. Tu l’écoutes, avec grande attention, pour une fois, tu n’as pas besoin de tendre l’oreille plus que ça, puisque cette fois, il est là, juste devant toi et qu’il n’y a que lui et toi dans cette salle. Cependant, même si parfois, tu manques cruellement d’empathie, tu le fixes. Et clairement, tu remarques qu’un truc cloche. Ses yeux. Son regard peut-être. Tu l’aurais vexé ? Comment ? Qu’est-ce que tu as fait, qu’est-ce que tu as dit ? Tu ne peux retenir un soupire. Oh, c’est pas que ça t’énerve, ou si, mais c’est pas lui, c’est toi qui te désespère tout seul, en fait. « … J’ai fais un truc qu’il fallait pas. » C’est pas une question, parce que t’en es quasiment certain. Même si tu sais pas du tout ce qui a pu faire que tu l’as touché, d’une manière ou d’une autre. T’en as pas l’air comme ça, mais t’aime pas particulièrement blesser les gens comme ça, gratuitement. Encore moins sans le vouloir. Bah oui, t’as un cœur. Surprenant, hein ? « Désolé … » Tu ne fais que ça, t’excuser depuis tout à l’heure. C’est presque malaisant, tiens.

Tu te pinces les lèvres.
Maintenant, tais-toi, Aedan. T’as réussi à t’agacer toi-même, avec tes excuses en série, sans même savoir si vraiment, tu as fait un truc de travers. T’es gênant. Toute cette situation est affreusement gênante, en réalité. Le truc, c’est que tu l’aimes, ce professeur. Bon, c’est vrai, Monsieur De Guise à ses défauts, mais tu crois pouvoir affirmer que c’est quelqu’un de tout à fait brillant, et ça te suffit pour l’apprécier autant que possible. « Vous excusez ? » Là, par contre, tu ne comprenais pas tout. Il n’avait rien fait de mal, du moins, tu n’avais rien relever ? D’accord. Cet échange était pour le moins étrange. Vraiment. C’était la première fois que tu parlais seul à seul avec l’un des professeurs que tu estimais le plus dans cette fac, et il fallait que ça se passe le plus bizarrement au monde.

Tu en viens à soupirer, au bout d’un moment. Finalement, mieux valait changer de sujet, non ? « J’apprécie beaucoup vos cours. » Bon la médecine, c’était un peu lourd, les domaines étaient divers et variés, certains étant intéressants, d’autres moins. D’ailleurs, le sujet du jour n’avait pas été des plus passionnants, pour toi, cela dit, ça ne t’avait pas empêché de suivre un minimum et ça, c’était bien la preuve de ton implication réelle. « J’ai hâte d’attaquer le chapitre sur la génétique ! »

Bref. Voilà. Ça a l’air … d’aller mieux, entre vous, maintenant ? Il a l’air un peu plus calme. Quoi que, il n’a jamais l’air réellement serein en réalité. Mais bon. Tu lui offres quand même un léger sourire. Si t’es enthousiaste ? C’est un euphémisme. Tu bosses comme un dingue, alors ouais, forcément. « Y’a pas de quoi … » Franchement, quel prof remercie un de ses élèves d’être attentif à ses cours ? C’est un peu le monde à l’envers, selon toi.

Tu détournes un peu les yeux. Tu restes planté là, un court instant, avant de te dire que peut-être, il est temps que tu lui fiches la paix. Il devait avoir du travail, non ? Et puis de ton côté, tu n’étais pas fan des longues discussions. Bien au contraire. « Bon, je vais vous laisser travailler. Je suis … content d’avoir pu échanger un peu avec vous. » Et c’était sincère. D’ailleurs, tu lui offres encore un sourire – décidément – avant de reculer et de t’éloigner. « A la prochaine, Monsieur de Guise ! »