Tu avais passé une nuit tranquille (contrairement à certains), enroulé dans une couverture et le sommeil lourd. Comment tout cela avait pu arriver, c’était une question que tu te posais depuis ce matin, sans être non plus réellement sûr que c’était bel et bien arrivé : après tout, tu n’y étais pas, tu n’entendais que des murmures, des sentences lugubres dont tu doutais de la sincérité. Quelques secondes, du déni simplement (n’est-ce pas) car il n’y avait aucune raison pour qu’ils mentent tous : qu’ils disent sans cesse qu’hier soir, ils étaient morts.

Les réminiscences de ta précédente journée te hantent : elle était si calme, alors que d’autres, eux, étaient en train de mourir de manière presque soudaine. Personnes ne se souvient, c’est comme un vide, mais tu n’y étais pas, et même si tu as appris la mort de certains (dont tu te sentais proche, en quelque sorte), tu ne cesses de te sentir soulager : tu te sens cruel mais tu es en vie.

Le désir d’oublier tes remords (étranges, soyons clairs) tu étais parti en direction du complexe sportif, premièrement car tu avais des cours dans la journée, mais aussi pour te défouler, un peu. Tu te doutais que l’ambiance ne serait pas à la fête, mais à peine sur place, que tu remarquais sa présence, son angoisse.

Sa peur.

Elle marchait, sans cesse, elle tournait en boucle comme un automate qui n’avait aucun but, elle semblait à la fois terrifiée, craintive, et plus tu la regardais, plus tu ressentais un malaise grandissant. Tu t’approches, tu la connais rapidement, vous aviez déjà discuté, une ou deux fois, rien de bien intéressant : mais il était clair que tu ne pouvais pas la laisser comme ça. Tu t’approches.

Ta main se pose sur son épaule, espérant la faire réagir, avoir son attention.

« Hey, qu’est-ce qu’il t’arrive ? »

La surprise (la peur) se lit sur ses traits, elle semble ailleurs, déboussolée, un rire nerveux s’échappant de ses lèvres, peut-être avais-tu été un peu brusque, tu ne savais pas y faire (tu penses). Elle s’excuse, tu ne comprends pas réellement pourquoi, tu mets sa réaction sur le compte de la surprise (ou peut-être es-tu simplement perdu, toi aussi, sans le savoir).

Tu ne dis rien, elle semble chercher ses mots.
Tu penses, tu ne sais pas réellement, en fait.

Elle reprend la parole, ton cœur se serre (sans que tu ne saches vraiment la cause de cette soudaine brûlure), ton visage s’assombrit dans une mine triste.

Aslan.

C’est vrai qu’elle te connaissait par lui, tu l’avais presque oublié (tu ne voulais pas te souvenir, tu as mal, tu ne comprends pas), mais comment tu pourrais l’effacer de ta mémoire, lui.

« Je ne sais pas si… Si on pouvait encore nous considérer comme des amis… »

Un spasme secouait ton corps, la peine (soudaine) qui tiraillait ton cœur te donnait un air valétudinaire, une (terrible) sensation (de malaise) prenant place dans ta gorge. Tu n’arrivais plus à savoir, réellement, ce qu’il était pour toi : un meilleur ami, certainement, mais tu ne pouvais plus le voir comme cela, pas après ce qu’il s’était passé.

Pas après tout ça.

« Tu le connaissais, n’est-ce pas… ? C’est pour ça que tu es… Si mal ? »

Dans son regard le monde s’effondre, quelque chose se brise sans que tu ne saches quoi. Sa voix est brisée, elle n’en connaissait pas qu’un seul, alors que toi, tu n’es plus sûr de rien, tu es perdu, certainement autant qu’elle, mais tu n’es pas détruit (tu as mal, mal, très mal, pourtant, tu souffres Neil, sans savoir la cause de tes maux). Elle se confesse (en tout cas, tu le vois ainsi), et tu souris doucement, te voulant rassurant.

« Aslan… »

Tu respires, doucement, tu te calmes.

« Je n’ai pas pu me faire pardonner. »

Après tout, c’était de ta faute.
Une grande bouffée d’air, tu t’assois à ses côtés, alors qu’elle craque complètement. Tu remarques sa blessure (douloureuse, tu l’imagines bien) et tu déposes ta main sur l’une des siennes, désirant, ne serait-ce qu’un peu, la soutenir dans cette épreuve.

La vie ne se perd qu’une fois, et parfois, on aurait voulu que les derniers instants ne soient pas les mêmes.
On voudrait profiter de l’autre avant qu’il ne soit trop tard.

Mais on ne sait pas quand la mort frappe, on ne comprend pas de suite l’horreur qui se produit, puis on ne peut que subir, subir cette tragédie.

« Ta blessure, c’était hier soir ? Tu y étais toi, non ? »

Tu sais que ce n’est pas le moment, tu le penses, mais tu ne peux rien faire d’autre.

Car tu es impuissant face à ça.

Le poids de la perte pèse sur ton cœur (comme il serre le sien), la peine est ambiante – mais sourire n’est pas au rendez-vous – la vie est faible et ne tient finalement à rien. Tu te veux alors rassurant (au moins pour elle) et ton contact semble l’aider, ne serait-ce qu’un peu, à ne plus perdre pieds. Il est plus simple de soutenir un poids à plusieurs plutôt que seul, c’est un fait.

Tu aimerais être plus rassurant.
Ne pas lui parler de ces événements tragiques.
Mais ne vaut-il pas mieux en discuter, un peu.
Se soutenir, s’aider.
Tenir cette douleur à deux, trois, plusieurs.
Pour ne pas sombrer seul dans le néant.

« Ce n’est pas grave. »

Un sourire orne tes lèvres, faible, mais doux. Tu l’écoutes, ton cœur se serre. Pourquoi ?

Pourquoi ?

Pourquoi tu devais te faire pardonner ?

C’est une bonne question, parfois, tu y réfléchissais, sans trouver réellement de réponse : mais tu sais une chose, que tout cela est de ta faute, qu’il t’en veut pour tes erreurs passées.

Tu as mal, tu voudrais pleurer (sans savoir pourquoi), mais tu n’offres qu’un faible sourire (baissant les yeux, cependant).

« Il m’en veut, j’ai commis une erreur, certainement grave. »

Pourquoi, tu ne sais plus.

« J’aurais voulu me faire pardonner, retrouver cette relation que nous avions. Mais ce n’est plus possible maintenant. »

Non, la vie ne se perd qu’une fois, la sienne est terminée et tu n’as plus que la douleur de ne pas avoir réparé votre lien.

Tu regrettes tellement.