Cuisiner était l'une de ces nombreuses choses qui, pour moi, posait problème. Non pas que j'en fus incapable, loin de là. Même, je vouais une hargne sans pareille à la maîtrise de ces rares activités qui semblaient justement hors de ma portée. Le fait est, simplement, qu'il était épuisant de cuisiner. Que dis-je, tout était, à un certain degré, épuisant. Si j'avais la chance de ne pas être complètement aveugle, je ne pouvais que rarement me fier à ma vision et à elle seule. Il m'était impératif de tendre l'oreille, d'être aux aguets en permanence, de mémoriser ma position et de rester attentive aux mouvements qui avaient lieu près de moi. Il était normal, après des années plongée dans un tel mode de vie, que je ressente le besoin de parfois m'accorder un peu de répit.

De ce besoin était né une habitude : celle d'aller manger au restaurant universitaire. Je n'y allais que deux à trois fois semaines, mais c'était toujours un réel soulagement. L'on aurait pu s'attendre à ce que j'ai cet endroit en horreur, moi qui aimait la quiétude, mais le restaurant était si bondé qu'il en devenait réconfortant. Le bruit des plats, des conversations, des rires qui n'étaient jamais retenus. Le tout s'harmonisait pour créer une trame de fond sécurisante, un cocon dans lequel j'entendais tout et rien à la fois. Idéal pour lire tout en sirotant un bon thé, en attendant l'heure du repas. Et c'est ainsi que j'étais en cet instant, immergée dans ma lecture. Les yeux clos, le bout de mes doigts caressait les pages, s'attardant ça et là un peu plus longtemps, repassant sur certains mots qui m'apparaissaient plus compliqués. Quel grand défi était-ce que d'apprendre à lire le braille.