Le stresse ne t’allais pas. Il te convenais pas. Tu ne pouvais le supporter qu’à moindre dose, et pourtant, il était toujours présent, en quelques sortes. Personne ne t’avait demandé d’en faire autant, tu sais. Et pourtant, fallait que tu t’en rajoutes, encore, toujours. T’avais dans l’idée d’être multi-tâches, et surtout, d’être plutôt polyvalent alors, ouais, en plus de tes études déjà largement chronophages, voilà que tu cherchais à t’investir dans un club. Tu savais qu’il y en avait … le truc, c’est que tu ne savais pas vraiment quoi faire. Du temps libre, tu en avais peu, d’ailleurs généralement, tu le passais à travailler mais à ne faire que penser médecine, tu avais l’impression de devenir fou, à tel point ou aller prendre rendez-vous avec le psychologue du campus t’avais traversé l’esprit. Il te fallait autre chose. C’était un peu ridicule, sans doute, de te rajouter une activité, surtout que tu avais tendance à tout prendre bien trop à cœur et au sérieux, mais voilà, il fallait que tu fasses autre chose. Que tu puisses te vider la tête, te divertir.

Tu avais pris quelques secondes de ton temps si précieux pour passer récupérer un papier, une liste en fait des clubs disponibles et le fait est qu’il y en avait bien plus que tu ne l’aurais imaginé, et pour à peu près tous les goûts, visiblement. De ton côté, tu ignorais totalement vers quoi tu avais envie, ou besoin de t’orienter. Tu en étais à te dire qu’une activité sportive comme la natation par exemple, pourrait être sympa, un truc qui ne se pratiquait pas en équipe quoi. Tu avais déjà le théâtre, en option, qui occupait et faisait quand même fonctionner ton cerveau, tu te demandais s’il n’était pas judicieux de le déconnecter, de temps en temps. Nager était peut-être la meilleure solution … t’en savais trop rien en fait. Du coup, tu t’étais juste rendu à la piscine, une heure avant de rentrer à la résidence pour la soirée, histoire de voir, d’expérimenter, de tester quoi.

Tu ne connaissais même pas l’endroit. Tu n’avais encore jamais mis les pieds dans cette piscine, et tu avais donc tourner en rond un moment, avant de finalement trouver, de comprendre le fonctionnement. Tu t’étais rendu dans les vestiaires sans perdre de temps, en oubliant même le soin que tu pouvais porter à tes affaires habituellement puisque tu avais simplement roulé tes vêtements en boule avant de tout balancer négligemment dans le casier de vestiaire. Finalement, tu avais encore mis un petit moment avant de trouver comment accéder au bassin, et tu avais intérieurement pester contre l’administration en te disant que quand même, il aurait pu penser à mettre quelques panneaux avec des flèches pour les gens comme toi. Enfin bon. Au moins, tu avais l’impression d’avoir la piscine pour toi. Fallait dire qu’il était tard. En journée, il y avait du monde, il y avait des cours, des entraînements, tout un tas de choses, mais une fois la journée finie … rien. Oui, enfin presque.

Tu t’étais approché du bassin, avec un peu d’hésitation, et puis tu avais soupiré en te rendant compte que finalement, tu n’étais pas si seul que ça. En fait, tu ne savais pas ce qui était le plus gênant pour toi entre partager la piscine avec plusieurs autres personnes, ou juste partager la piscine avec une seule personne. Elle, en particulier. Oh, elle avait beau avoir les cheveux mouillés, tu l’avais reconnue aussitôt. Son prénom s’était même faufilé jusqu’à ta mémoire directe, et avait résonner dans ta tête de façon aussi agréable qu’une craie qui crisse sur un tableau. Mais voilà, tu n’avais pas eu le temps de grimacer. Tu n’avais fait qu’un pas de plus … et elle avait juste couler ? Là, devant tes yeux. Tu avais eu le loisir de l’observer flotter durant quelques secondes, pourtant et voilà qu’elle coulait à pic à la manière d’une brique. Tu t’étais alors mis à hésiter, juste une fraction de secondes. A te demander ce qui lui prenait, et finalement, ton instinct s’était juste mis à te hurler de te bouger, et tu avais plonger du bord de la piscine, pour ensuite nager jusqu’à elle et replonger sous la surface. Tu avais totalement cessé de réfléchir, et par automatisme, tu avais passé tes bras autour d’elle, l’attirant contre toi pour remonter rapidement, sans pour autant la lâcher. « J’espère que t’es en train de respirer là, parce que je te fais pas de bouche à bouche, t’es prévenue. » La tenant toujours d’un bras, tu viens passer une main sur ton visage, avant de soupirer. « Qu’est-ce qui t’as pris ? T’as coulé à pic. » Tu évites la comparaison avec une grosse brique bien lourde, parait que ça vexe les filles ce genre d’allusions …

Elle tremble. Tu peux le sentir durant le court laps de temps durant lequel tu la tiens là, contre toi, par sécurité. Sérieux, quoi. T’étais venu nager, te dépenser, voir si ça te plaisait, tout ça, pas jouer au sauveteur. C’est une catastrophe cette fille, combien tu la vois tomber, ou se manger des portes quand tu poses les yeux sur elle. A force, t’es presque habitué, si bien que t’y fais même plus attention. Elle est juste super maladroite, du moins tu le supposes. M’enfin, forcément, tu ne peux pas t’empêcher de faire une remarque, parce que quand même ça t’emmerde de devoir t’occuper d’elle. T’étais pas là pour ça, et puis en plus, c’était forcément pas la personne que tu préférais au sein de cette université. Clairement pas, même. Elle te déteste cette fille là, et le moins qu’on puisse dire c’est que tu le lui rends bien en général. Y’a bien cette petite voix qui te dis de la ménager parce que c’est une fille, et que les filles généralement c’est chiant, mais t’y arrives pas forcément. Alors bon.

Elle te repousse, mais pas totalement. Disons qu’elle reste quand même bien accrochée à ton bras, tu vois. Au cas où elle aurait l’idée de couler à nouveau, on sait jamais, sans doute. « Ah vraiment ? T’appelles ça comment alors, sombrer sous l’eau comme un cachalot lesté ? » Et voilà, adieu pseudo délicatesse. Tu soupires. Peut-être que tu regrettes déjà un peu tes paroles, parce que bon, c’est faux hein. Elle est loin d’un cachalot. Elle est même toute fine, toute petite. On dirait une poupée. « Pourquoi je t’aurais suivie, exactement ? » Tu agites la tête, pour lui faire comprendre que vraiment, là, elle raconte n’importe quoi, hein. « J’hésite juste à inclure la natation à mes passes temps. Voilà tout. J’étais venu nager … pas secourir une idiote qui oublie comment on nage au beau milieu d’une piscine. » Tu regardes ailleurs un instant. Elle est toujours là, accroché, et tu fais en sorte de rester à la surface mais bon, ça va bien cinq minutes. Du coup, qu’elle le veuille ou non, tu viens de nouveau passer ton bras autour d’elle et tu l’entraînes avec toi, tu la ramènes près du bord, afin qu’elle puisse s’y accrocher, ou sortir de la piscine, comme elle veut quoi. « Je vais pas te servir de bouée toute la soirée. »

Ah. La comparaison l’a faite tiquer. Normal. Tu t’y attendais un peu … Amaury n’est pas du genre à rester calme ou impassible, du moins, pas dans tes souvenirs. C’est qu’on peut pas vraiment dire que tu la connais plus que ça, cette fille. Toujours est-il que même si elle répète ton insulte – qui n’en est pas une en vrai, tu le penses pas, c’était juste … une comparaison maladroite – elle ne dit rien de plus, et elle se laisse même faire sans faire d’histoire lorsque tu la ramènes vers le bord. Elle se détache de toi, pour s’accrocher au bord. Tu pourrais t’éloigner maintenant, aller faire tes longueurs, mais non, tu restes. Tu restes parce qu’une fois de plus, elle est bizarre. Parce que t’as bien remarqué sa façon de s’accrocher au bord de la piscine et que, sérieusement, t’as pas envie qu’elle se noie cette idiote.

« Mh … ? » Oh t’as plutôt bien entendu sa question. La piscine est silencieuse, et en plus ça résonne alors elle peut bien murmurer, tu entends. Tu finis par hausser une épaule. « J’en sais rien. Je fais rien d’autre à côté. » Et puis t’es organisé, aussi. Vachement sérieux, et hyper organisé ouais. Réglé comme du papier à musique, presque au millimètre près. C’est flippant, limite, tu le sais, mais c’est comme ça que tu fonctionnes, que t’as toujours fonctionner, tu connais pas d’autre façon de vivre ta vie d’étudiant. Bref. Voilà qu’elle te lance encore un regard bizarre. Tu la comprends vraiment pas cette fille-là, hein. Elle a un problème avec toi, ça t’a fini par le comprendre, mais lequel ? Bah tu sais toujours pas, et tu doutes qu’elle te le dises un jour. « Mouais, j’y crois qu’à moitié. » Tu soupires, légèrement, et puis tu t’éloignes très légèrement d’elle. « Pourquoi t’as cou--… » Pas le temps de finir, elle vient littéralement de te sauter dessus et sous l’effet de la surprise, tu coules, avec elle, accrochée dans ton dos. Il te faut quelques secondes pour reprendre le contrôle et tes mains viennent attraper ses cuisses, pour stabiliser tandis que tu remontes en te servant de tes pieds. « T’es complètement malade ! » Tu reprends ton souffle, tu craches un peu d’eau aussi. Berk, l’eau pleine de chlore, sérieux. « Je croyais que t’avais pas besoin de bouée … » Cette fois, tu tournes légèrement la tête, et tu lui offres un sourire relativement taquin. Tes mains glissent de ses cuisses, et tu te sers de tes bras pour rester à la surface. « Tu sais plus nager toute seule ? »

Et ça ronchonne. Et ça se crache dessus, limite. On dirait félin en pleine lutte, c’est fou ça. T’en viendrais presque à te poser des questions, à te demander pourquoi c’est comme ça depuis le début entre vous deux. T’as jamais rien fais pour la mettre en colère, du moins pas dans tes souvenirs … Mais bon. C’est une fille quoi. C’est un peu machiste de penser comme ça, mais t’as toujours pensé que les femmes c’était difficile à supporter. T’es pas doué pour t’entendre avec la gente féminine parce qu’en général, tu manques de tact et de délicatesse, il parait. M’enfin. Dans ta tête, Amaury c’est plus qu’une fille, c’est une vraie sauvage. Combien de piques vous vous envoyez à la semaine ? Sérieux, tu comptes plus tellement ça peut prendre des proportions impressionnantes. C’est juste que t’as l’impression qu’elle monte sur ses grands chevaux à peine tu poses les yeux sur elle, du coup, t’en es vite arrivée à la conclusion qu’elle te détestait. Forcément, ça aide pas quoi. Et pourtant … parfois, même si c’est pas vraiment ton genre, c’est toi qui taquine. Tu l’embêtes. Tu la brusques. Faut avouer qu’à l’intérieur, tout au fond de toi, ça te fait sourire, parfois même, ça te fait rire de la voir s’emporter. Elle en serait presque mignonne quand ses joues deviennent toutes rouges, tu sais, quand elle est face à toi et qu’elle te hurle dessus, ou quand elle te lance ces petits regards de biais supposément pleins de haine.

Il s’efface si vite son sourire … c’est sa pichenette sur ton nez qui te fais reprendre ta mine impassible. « Ah pardon, c’est vrai que le cachalot, c’était abusé, toutes mes excuses. » Tu soupires un peu. T’as l’air tellement sérieux, tellement sincère. Limite on peut lire quelques regrets dans tes yeux. « Baleine. » Bon, ok t’abuses. Mais hé, elle vient de dire que t’es un abruti, du coup, tu surenchéris. Comme un gamin, ouais. De toutes façons, vous avez toujours l’air de deux gamins quand vous vous chamaillez. C’est fou, ça. Et voilà qu’elle recommence avec ton nez. Non mais sérieux. Elle sait nager toute seule qu’elle dit ? Ça reste à prouver n’est-ce pas ? Alors, une nouvelle fois, tu te laisses couler, d’un coup, comme ça. T’as à peine le temps de prendre un peu de souffle que tu plonges sur la surface, et puis, tu forces un peu pour virer ses bras afin qu’elle te lâche avant de te tourner vers elle pour l’observer, sous l’eau, malgré la brûlure que l’eau vient causer à tes yeux. Si elle sait nager comme une grande, pas de soucis, sinon … bah t’auras plus qu’à la rattraper, hein.

Ce que tu peux être chiant, bon sang, Aedan. Parfois, tu te conduis quasiment comme ton jeune frère, autrement dit … comme un gamin. Tu ne sais pas trop toi-même pourquoi tu te sens obligé d’agir comme ça avec elle, d’ailleurs. C’est juste plus fort que toi. Faut que tu sois odieux, insupportable. Ça te plait, de la voir s’énerver, s’agiter. Plus elle te crache dessus, plus t’es satisfait. Si c’est pas totalement étrange, ça.

Pour le coup, t’as réussi ton coup. Tu voulais lui faire peur, et bah c’est sans doute réussi. Elle remonte, rapidement, et puis elle va s’accrocher au bord. Elle tousse. Elle a but la tasse, quoi. C’est pas si dramatique, si ? Elle va s’en remettre, c’est ce que tu te dis, peut-être naïvement, ou stupidement. Et toi, tu l’observes. Là, dans l’eau tandis qu’elle est remontée. Tandis qu’elle est de nouveau sur ses jambes et qu’elle tourne les talons, furieuse au fond, tu le sais bien. T’es un con. Ouais. Elle a raison. Tu le sais. Et c’est justement parce que tu le sais que tu restes silencieux, que tu te contentes de la suivre du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse avant de rejoindre le bord, à ton tour, avant de te hisser sur ce dernier et de venir rageusement frapper la surface de l’eau. C’est que … t’es pas bien fier de toi. Tu l’es jamais, quand t’es comme ça, avec elle.