T’avais parfois l’impression que le karma … il se foutait royalement de ta gueule. Tu pouvais au moins te le dire à toi-même : t’étais pas une fille bien, encore moins quelqu’un de très fréquentable. Tu ne cherchais d’ailleurs pas à te faire des amis, à t’intégrer, que ce soit au sein de ta promo, ou encore au milieu d’un club. Tu parlais à peine à tes collègues de boulot, et quand tu le faisais, c’était avec une petite voix à peine audible qui agaçait tout le monde, et juste pour des trucs utiles genre … « Il reste des jambon beurre ? » Bref. Tu donnais l’impression d’être une nana timide, mais honnête. Effacée, mais peut-être sympa. Transparente, mais hyper calme. Et tout était faux. Un diable. Un vrai démon. Voilà ce que tu étais tout au fond de toi. Main légère, violence facile, du sang sur les mains. Tes souvenirs étaient emplis de violence, de massacre, et tu délectais à chaque fois que tu pouvais t’y replonger tranquillement, le soir en rentrant chez toi, au beau milieu des trophées, des souvenirs. Pas nombreux, n’exagérons rien. Mais présents quand même.

Sauf que voilà. A côté de ça … ces derniers temps, tu étais cruellement malchanceuse. Réveil qui oubli de sonner. Un téléphone cassé la semaine dernière. Un billet de perdu. Un devoir … envolé. Bref. Tu avais l’impression que quelqu’un, quelque part, avait décidé de pourrir la vie, et par tous les dieux du monde et de l’univers, c’était certain que si tu lui mettais la main dessus, il allait passer un sale quart d’heure celui-là. Ouais. Enfin, en attendant … Tu avais paumé tes clés. Tes clés, oui. Celles de ta voiture, déjà, mais donc aussi celle de ton appartement, de ta boîte aux lettres, celle du garage dans lequel tu rangeais la voiture pour laquelle tu n’avais justement plus de clé. Bref. La merde. T’étais certaine de les avoir avant d’assister à ton cours. T’avais fouiner l’amphi. Et ça faisait une heure que t’y étais. T’avais même dû appeler la cafétéria, pour prévenir que t’étais malade. Quoi ? Evidemment que t’avais menti. Non mais sérieux. T’allais quand même pas expliquer que sorry, mais t’étais trop occupée à chercher tes clés dans le pavillon shs de mort là. Bref. T’étais passé au couloir. Celui avec le distributeur défoncé là … et t’étais en train de regarder partout. Par terre, dans les coins, tout ça, et de rager, aussi. Intérieurement. Mais beaucoup …

Y’avait rien putain. T’allais y passer ta journée, ou quoi ? Ou bien t’étais juste condamnée au parcours du combattant, à savoir, aller jusqu’au bureau pour les objets trouvés et voir si éventuellement, quelqu’un de sympa dans cette fac d’abrutis avait retrouver tes clés et avait songé à les ramener bien gentiment. Sérieux. T’y croyais moyen, hein. Peut-être pour ça d’ailleurs que tu évites de te décourager. Tu préfères chercher, hein. Et avoir la joie immense de remettre la main dessus comme une grande. Oui enfin, si tu les retrouvais un jour, quoi.

Tu laisses échapper un lourd soupire, te redressant, faisant craquer tes vertèbres. Plus que pour soulager ton dos, c’était pour entendre le son apaisant de tes os qui craquent. Tu avais toujours adoré le bruit, et c’était comme ça depuis que tu étais toute petite. La gamine qui faisait craquer ses doigts trente fois en plein cours pendant un silence, c’était toi. T’es possiblement en train de perdre patience, et voilà qu’une voix résonne dans le couloir. C’est pas le moment. T’as envie de … non. On se calme. Ici, tu es la petite nana fragile et timide. Rien de plus. Rien de moins. Y’a que dans ta tête que tu fais la maligne. Tu te retournes, pile au moment où il évoque tes clés, avant de les tirer de sa poche. Tu restes droite, réajustant tes lunettes sur ton nez, tout en le détaillant. Tu l’as déjà vu ce gars-là. Il fait psycho. Tu l’as déjà croisé. « L’amphi 113 … » C’était donc ça. Bon. Tu n’y étais pas retournée encore alors…ouais. Tu finis par attraper ton jeu de clé. « M-Merci … » Et puis, tu baisses les yeux, jouant avec les manches de ton pull, tirant dessus alors qu’elles sont déjà bien trop larges et trop grandes pour toi. « J’ai cru que je pourrais pas rentrer chez moi … » Tu parles pas fort. Ta voix est douce. Fluette. Elle va avec le reste, quoi. T’es tellement petite aussi. T’es carrément obligé de lever la tête pour le regarder. « C’est quoi ton nom déjà … je t’ai déjà vu dans ce bâtiment je crois … tu fais psycho, non ? »

Tu crois, que tu lui dis. Mais en vrai, t’es sûre de l’avoir déjà vu. Tu veux pas passer pour quelqu’un qui prête attention aux autres, c’est tout. T’es constamment en train de te cacher, tu fais ça depuis si longtemps, maintenant, que t’as l’impression que ça à juste toujours été le cas. Tu sais pas toi-même pourquoi tu tiens à être comme ça, juste que tu fais tous les efforts du monde pour être seule, pour rester timide, pour ne pas t’ouvrir aux autres. C’est peut-être un moyen de te punir toi-même qui sait ? Serais-tu si complexe que ça, dans ta tête, Velvet ? Ou alors c’est juste que t’es dingue, et que tu veux juste éloigner les autres de toi, pour garder tes secrets bien à l’abri ? Enfin. Bref. Non seulement, il traine effectivement dans le coin, mais en plus il est de ta promo. Intéressant… « Je me disais aussi… » Et puis tu hausses les épaules. Tantôt tu le regardes, tantôt tu préfères vraiment regarder ailleurs, histoire de pas te mettre à le fixer comme tu as l’habitude de le faire parfois. Puis t’as un souci avec ton regard. Surtout quand ta pupille devient rouge, comme aujourd’hui. Ça te fait un regard hyper chelou. « Je sais … j’aime pas traîner en fait. Et j’étais censée bosser… » Bon du coup, t’avais séché le boulot pour rien, mais ça à la rigueur c’était pas le plus dérangeant quoi. T’aimais pas trop ce service de toutes façons.

Tu lui accordes un léger sourire, tout en relevant les yeux vers lui. Vous aviez eu la même pensée … « J’ai eu de la chance qu’aucun sale con ne tombe dessus, et que ce sois toi qui les récupères alors… » Il s’était donner le mal de te chercher pour te les rendre en main propre. « Encore merci, vraiment…je suis perdue sans ma voiture. »

C’est plutôt rare finalement, quand tu discutes autant. Normalement, les gens de cette fac, tu les évites comme la peste. Disons que t’es vite saoulée … disons aussi qu’il ne fait pas bon trop te saouler, quoi. Mais bon, il ne craint rien ce gentil garçon, hein ? Il est gentil, pour l’instant. Et puis, il t’a rendu service, quoi. Donc tout va bien. Pour l’instant.

Tu hausses les épaules, faisant tourner l’anneau de tes clés autour de ton doigt. T’étais tranquille maintenant. T’étais censée bosser, d’ailleurs, tu aurais pu aisément rappeler pour prendre ton service mais tu n’étais pas si serviable, pas si engagée non plus. C’était qu’un job, c’est tout. Ça te permettait de payer tes factures et d’avoir une vie plus confortable. Manquer quelques heures dans la semaine, c’était pas la mort. Surtout que tu l’aimais comme tu le détestais ce boulot. Bref. Il finit par te tendre la main et tu hésites, juste quelques secondes à lui offrir la tienne, lui rendant un sourire peut-être … un peu trop étrange, un peu trop carnassier que tu ne l’aurais voulu. Raven. C’était son prénom. « Intéressant comme prénom … » Tu relâches sa main, laissant retomber la tienne le long de ta cuisse tout en continuant de le fixer. « Velvet. »

Tu jettes finalement un œil dehors, par la grande vitre non loin de toi. Il n’y a plus beaucoup de monde … tu soupires légèrement. T’avais perdu en temps fou sur ta journée pour ces clés. « Bref … maintenant que j’ai mes clés, tu veux que je dépose quelque part, tant qu’à faire ? »

Rien à faire dehors … bon. Pourquoi pas ? Tu te contentes d’un haussement d’épaules. Chacun son truc après tout, toi tu étais bien incapable de rester dans l’enceinte de cette université plus que nécessaire. Tu y bossais, tu y étudiais, c’était déjà bien assez. Du coup, quand tu terminais tout ce que tu avais à faire, tu fuyais généralement assez rapidement cet endroit histoire de respirer, de prendre un bon bol d’air. « Comme tu veux. » Et tu te mets à piétiner. A faire du sur place. Comme si tu ressentais réellement le besoin de bouger d’ici, de fuir. Tu as presque l’impression – pas forcément agréable d’ailleurs – que le regard qu’il pose sur toi depuis quelques minutes déjà est inquisiteur. Comme s’il cherchait quelque chose sans le réellement le trouver. Etudiant en psychologie … mh. C’était quoi ? Une espèce de déformation professionnelle ? Un peu comme toi, sans doute, parfois.

Tu finis par faire glisser tes clés dans une poche de ton jean, persuadée qu’ici au moins, tu ne risques pas de les perdre. « Oh … pourquoi pas ? Si tu veux. » Cette fois, tu détournes le regard. Tu te mets à fixer un point qui n’est visible que par toi, là, sur le mur tâché par endroits. « Tu as déjà pris le temps pour mes clés. Je ne voudrais pas que tu perdes du temps supplémentaire … » Au fond, même si tu avais pour habitude de jouer la comédie qui tu parlais, t’exprimais, cette fois, tu sentais quand même cette légère pointe de gêne au fond de toi. « Mais merci. Encore une fois … t’as l’air d’un garçon sympa. »

Il va te les envoyer … bon après tout, s’il veut hein. Tu sais pas trop où, après tout tu ne le connais pratiquement pas, il n’a pas ton adresse. Il n’a même pas ton numéro pour possiblement te demander une adresse. Mais peu importe. C’est intéressant, au fond, puisque t’es quand même curieuse de savoir si vraiment il va se débrouiller pour te le faire parvenir, ce cours. Est-ce qu’il serait prêt à fouiner un peu, pour ça ? Oh, c’était pas grand-chose. Tu supposais qu’il suffisait de passer par les différents réseaux de la fac pour ça mais … tu avais l’impression de voir une espèce de jeu de chat et de la souris se dessiner et mine de rien, ça t’amusait beaucoup. Du coup, tu hausses les épaules. « Ok, merci. » Tu remballes ton brossage dans le sens du poil, tiens. Trop c’est trop. Et trop avec toi, c’est vraiment pas naturel. Surtout qu’en plus, il en est déjà à te saluer, puis à s’éloigner. « A plus tard ! » Et tu te retournes pour l’observer tandis qu’il s’en va. Bizarre comme échange. Pas commun quoi … tu souris. Tu souris pour toi-même. Un sourire peut-être un peu effrayant au fond, mais personne n’est là pour le voir, alors tu t’en fiches. Peut-être que t’avais bien envie de creuser ce garçon, pour voir. Pour essayer … quoi.