Soirée orageuse.
Quand beaucoup cherchaient à fuir ce temps, cette météo menaçante, c’était dans ces moments là que toi, tu préférais sortir pour prendre l’air. Tu aimais l’odeur de la pluie qui flottait dans l’air. Cette chaleur humide qui martelait l’atmosphère. Stellaris n’était jamais plus belle que durant ces soirées-là. Lorsque la population était présente, mais fuyante. Lorsque la ville semblait en pleine torpeur, attendant l’orage, le tonnerre avec appréhension. Ce sont ces moments là que tu choisis, pour souffler. Pour éloigner ton esprit de la faculté, de tes études, le temps de quelques heures à peine, de temps en temps. Ici, au beau milieu des rues, même bondées, il n’y avait personne pour t’arrêter, personne pour provoquer ta colère, personne sur qui élever la voix plus que nécessaire.

Tu as le regard absorbé. Les yeux plongés, captivés par la faible lumière bleutée de ton écran de téléphone. Réseaux sociaux. Messages. Contacts. Musiques. Photos. Tout y passe. Activité inutile qu’est celle de passer ton téléphone en revue. Révision de ton emploi du temps, et voilà que tu supprimes un, puis deux contacts. Des gens sans importance avec lesquels tu es certaine de ne pas avoir envie d’avoir de relation, bonne ou mauvaise. Ecouteurs vissés dans les oreilles, la musique est forte, trop forte. Le son quasiment à fond, comme chaque jour vient torturer un peu plus tes tympans. Un soupire … Et puis c’est le choc. Tête baissée. Ton champ vision réduit par le téléphone, mais aussi par la capuche qui recouvre ta tête, tu n’as rien vu venir. Tu manques de tomber en arrière, tant le choc est violent, tout de même, mais deux mains te rattrapent, te permettant de conserver un certain équilibre. L’un de tes écouteurs est tombé … alors finalement, tu retires le second sans même couper la musique. Faire attention où tu vas ? Dans d’autres circonstances, tu l’aurais sans doute envoyé chier, ce type. Lui et son putain de sourire. Mais là, c’est vrai que c’est possiblement de ta faute. A toi. A ton téléphone. A la musique. « Désolée. » Tu marmonnes. Tu grinces des dents. T’es pas le genre qui s’excuse souvent, mais là, tu te sens obligée. Et puis, tu détournes le regard. « Bonne soirée. » Tu te remets en route. Le téléphone dans la main. Tu fais à peine trois pas, avant de le fourrer dans ta poche. Toujours la même. A droite. Là où se trouve ton portefeuille aussi. Ouais. Enfin normalement.

Tu t’arrêtes nette. Tu fouilles ta poche. L’autre. Celles de ton jean, aussi. T’as pas pris de sac, mais tu sais que tu l’avais. C’est une certitude. Tu l’aurais perdu ? Où ? Quand ? Tu l’avais encore y’a moins de dix minutes, quand t’étais sortie de la boulangerie, avec tes quelques bonbons. Hm. Voilà que tu fais volte face. Tu te retournes. Une minute, au moins, que t’as été bousculée. « L’enfoiré … » Tu te mets à courir. Tu le vois encore, là dans la foule. Alors tu cours, tu slalomes entre les passants, tu bouscules la moitié des piétons, mais finalement, tu poses la main sur une épaule. « Hé toi. T’aurais pas un truc qu’est pas à toi dans tes poches ? »

☾ anesidora

Ça bouillonne. Et c’est bizarre, mais, si y’a encore deux minutes t’avais genre aucune certitude que ce soit vraiment lui – bah oui, après tout, présomption d’innocence, tout ça, t’avais pu le perdre, tout simplement, bref – quand il se retourne, tu n’as plus aucun doute. Son sourire vient directement t’irriter. Ce que c’est agaçant. Il te donne directement l’impression de faire le malin, de se payer ta tête, quoi. Et évidemment, t’aimes pas ça. Ça t’énerve. Ça te donne envie de le cogner. De lui envoyer ton poing dans la tronche pour l’effacer, son putain de sourire à la noix.

Il a dégagé son épaule de ton étreinte quasiment aussitôt. Tu dois transpirer la colère … mais visiblement, il s’en fou, parce qu’il continue de sourire, encore et encore. Et sa voix. Son ton. Tout vient agresser tes tympans, c’est aussi agaçant qu’une craie sur un vieux tableau. Tellement désagréable que t’en grimace légèrement. « Te fou pas d’ma gueule. » T’as élevé légèrement la voix, mais tu te contiens encore. Faut croire que les séances – enfin la, séance, soyons précis – avec le psy sont plus bénéfiques. Y’a encore une semaine, tu te serais mise à hurler, mais tu commences à comprendre que ça fonctionne pas comme ça, que plus tu hurles et moins t’as de chance d’être entendue.

Et voilà qu’il se met à sortir tout un tas de bordel de ses poches. Des bijoux, des montres, plusieurs téléphones … ouais, bon. S’il te restait des doutes, t’as plus à en avoir. Ce type est un voleur. Un habile pickpocket, visiblement. Mais tu t’en fou en fait. Il fait bien ce qu’il veut de sa vie, et tant que c’est pas tes affaires, t’en as rien à foutre de ce qu’il vole. Le truc, c’est qu’il chiper ton portefeuille. C’est à toi. Y’a pratiquement pas d’argent dedans, mais y’a quand même tes cartes. Tout ton bordel important, quoi. Tu peux pas te permettre de tout perdre. Parce que les cartes, c’est chiant à refaire. Et même qu’en plus, des fois, ça coûte de l’argent. « J’m’en fou de ton butin à la con, t’as piqué mon portefeuille. Rends-le-moi. » Et il continue de sourire. D’ailleurs, son sourire semble changer. Parfois. Là, soudainement, il te parait plus mauvais … mais clairement, tu te laisseras pas impressionner pour si peu. Et tu soupires. Tu soupires parce que malgré tout, il continue de t’emmerder. Et tu te mets à ricaner. Sérieux. De quoi il parle ? « T’as des problèmes psychologiques ou quoi ? » Tu passes une main sur ton visage. « Fiable. Toi. Avec ton sourire là … perso j’ai juste envie de te mettre des claques. » Et tu fronces les sourcils. Et tu détournes légèrement le regard … et quand tes iris bleutées se reposent sur lui, ton regard est froid, sombre, presque assassin.

Il a perdu son sourire, lui aussi. Son regard est … peut-être un peu flippant, oui. Mais tu es bien trop remontée pour relever. Tu continues de le fixer. Tu baisseras pas les yeux. Rien à faire. Même quand il se penche vers toi. Il est proche, et tu sens son souffle sur ta peau. Ça te fait frissonner. Et voilà qu’il te sort ton portefeuille, maintenant. Et il se remet à se payer ta tête … et ça t’agace, putain. Ça t’agace. Si bien que tu viens le repousser violemment, pour qu’il s’éloigne de toi. Tu supportes pas qu’on empiète sur ton espace vital, surtout quand t’as les nerfs, surtout quand t’en as vraiment pas envie. Et puis tu tends la main, et tu attrapes le portefeuille entre tes doigts. Il le tient. Tu le tiens. Et tu continues de le fixer, de le défier du regard. « Lâche ça putain. » Ouais. Qu’il lâche. Et qu’il se casse aussi tiens. T’as pas envie de te mettre à gueuler. T’as pas non plus envie de te mettre à le frapper parce que faut être réaliste … et il est bien plus grand que toi, et sans doute bien plus fort, aussi.

☾ anesidora

Tu lâcheras pas. T’es bien trop têtue pour ça. Ce sont tes affaires, après tout, et si quelqu’un doit lâcher prise, c’est lui. Pourtant, tu sens bien qu’il n’est pas décidé à abandonner si facilement. Tu ne sais pas si c’est de la véritable méchanceté, toujours est-il qu’il a l’air de bien s’amuser, en réalité. Il ne perd pas son rire. Mieux, ça le fait rire tandis que face à lui, toi, tu es tantôt difficilement neutre, tantôt très en colère. Tu fais pas vraiment la maligne. Un peu quoi. Mais il est sans doute bien plus fort. Si ça devait se jouer à la force physique, tu sais que t’aurais juste perdu d’avance. D’ailleurs, il ne bouge même pas. Il ne semble même pas se formaliser de la foule autour de vous, alors que toi, tu es bousculée d’un côté comme de l’autre. Tu as horreur de ça. Tu serais sans doute déjà en train de hurler sur tout le monde, si tu n’étais pas déjà occupée.

Et puis au bout d’un moment, il tire. Il tire d’un coup, sans que tu ne t’y attendes et te voilà attirée en avant, sans que tu ne puisses contrôler quoi que ce soit. Tu aurais chuté, s’il n’avait pas été là. Mais il est là, pile devant toi et tu te retrouves contre lui, bloquée, parce qu’évidemment, tu ne veux toujours pas lâcher. Et ça l’amuse. Ça l’amuse énormément, tandis que toi, tu enrages encore davantage si c’est possible. Tu es en position de faiblesse, et tu n’aimes vraiment pas ça. Encore moins quand tu sens sa main dans ton dos. Il n’y va pas franchement, il effleure du bout des doigts et ça ne fait que te chatouiller légèrement à travers les couches de tissu que tu portes. Il se moque. Semble prendre un certain plaisir à te torturer de la sorte, tandis que sa main descend. Elle te gène cette main. Et pourtant, tu évites d’y penser, même lorsqu’elle vient se loger contre ta hanche … Et évidemment, tu ne rends compte de rien. Son petit manège, tu ne le vois pas, parce qu’au même moment, il lâche. Il lâche le portefeuille de lui-même, t’offrant ainsi un vague sentiment de victoire. Tu sers ton portefeuille contre toi, et tu recules d’un pas. Tu t’éloignes, en même temps qu’il s’éloigne aussi d’ailleurs. Un signe de main … et le voilà de nouveau parti. Tu le vois encore vaguement dans la foule et dans un réflexe un peu tardif tu ouvres ton portefeuille … pour laisser échapper un lourd soupire. Il est vide. Plus une pièce. Plus une carte. Il est totalement vide. Il n’y a absolument rien. Alors de nouveau, tu enrages. Et tu hurles. « REVIENS ICI ! » Tu hurles à travers la foule, avant de te remettre à courir. C’est à ton tour de bousculer quelques épaules. Tu avances les poings serrés, tu ne le vois même plus. Il s’est comme volatilisé. Tu devrais déjà être rentrée. Depuis un moment. Et au lieu de ça, tu es là, occupée à courir sur la pluie … parce que oui, voilà qu’il pleut maintenant. Subitement. Quelques gouttes discrètes, et puis après quelques longues secondes, des trombes d’eau qui font se disperser la foule. Mais bon, c’est pas ça qui t’aide, hein. Tu le vois vraiment plus. Alors finalement, tu t’arrêtes, tu tentes de t’abriter sous quelques tuiles qui dépassent d’un toit et tu cherches ton téléphone dans ta poche … évidemment tu ne le trouves pas, et évidemment, tu comprends vite où il a pu passer. Du coup, tu viens fiche un violent coup de pied dans une poubelle qui se trouve là, devant toi, et puis tu te remets à courir à travers la rue avec l’espoir vain de lui remettre la main dessus parce que sérieux … ce téléphone, il contient juste une énorme partie de ta vie.

☾ anesidora

Et tu cours, et tu cours, comme si ta vie en dépendait, un peu. C’est pas vraiment le cas … mais un peu, quand même en fait. Disons que t’es du genre à avoir des dizaines de petits carnets, et que tu y notes tous les trucs importants, au cas où. Tes numéros surtout. Mais sans téléphone, un numéro de téléphone ça sert à rien, et sérieusement, ça coûte cher ces petits machins. Tu roules pas sur l’or. Et celui là était déjà quasiment neuf. Ça te saoule. Et le pire ? C’est que cette fois, t’y arrives pas. La première fois que ce type bizarre avait décamper avec ton portefeuille, tu lui avais remis la main dessus facilement, mais maintenant, tu supposes qu’il l’avait fait exprès. Ça avait eu l’air de l’amuser, de se retrouver face à toi, et toi, ça t’avait juste énervée parce que tu avais clairement été en position de faiblesse et qu’en fait, tu l’étais toujours.

Tu l’aperçois, pas si loin que ça, devant toi. Il est toujours en train de sourire. Alors tu redoubles d’efforts, et tu bouscules toujours plus d’épaules. Et tu le vois te faire signe, et tu à l’impression d’être avalée par les passants un court instant et puis … et puis plus rien. Lorsque la rue se dégage un peu, enfin, il n’est tout simplement plus là. Il a disparu, comme ça, d’un coup, en une fraction de seconde. Alors tu t’arrêtes, là, pile à l’endroit où tu la vu pour la dernière fois, tu regardes autour de toi et puis tu te résignes. Il a disparu. Envolé. Volatilisé. Mais c’est que partie remise, n’est-ce pas ? Parce que ouais, tu comptes bien lui remettre la main dessus, en fait, qu’il le veuille ou non.

☾ anesidora